Croire à l'amour... Était-ce donc une religion ? Fallait-il avoir la foi ? Un jour, un journaliste l'avait surnommé "l'anthropologue de l'amour", et il en avait été flatté. cela faisait des années qu'il sillonnait la planète pour tenter d'établir l'origine des sentiments. Les Neandertal connaissaient-ils déjà la palette des émotions ? Comment était-on passé du rut simiesque à une étreinte plus subtile ? Qui, le premier, était sorti de sa gangue animale ? Qui avait tenté un geste tendre, une caresse inédite, un baiser, avant de découvrir l'empathie, l'affection, l'attachement ? Qui avait inventé l'amour ? C'est un beau sujet de recherche ! se disait-on souvent.
Longtemps, la chair fut péché. Pendant des millénaires, les rois, les prêtres, les maris ont obstinément contrôlé les corps et la sexualité. En Occident, il a fallu des siècles, et tant de souffrances, tant de sang, pour desserrer le carcan des Etats et des religions, et imposer enfin le droit au plaisir et à l’amour.
Aujourd’hui, nous pouvons enfin faire l’amour sans procréer, procréer sans faire l’amour, et donner libre cours à notre désir. Pourtant, comme les hommes et les femmes d’antan, nous recherchons fébrilement le Graal, le grand amour, vrai, intense, et si possible durable. Comme chez Platon, nous sommes toujours en quête de notre autre moitié.
Alors nous errons, résignés, prisonniers de nos rêves inconciliables, ballotés entre notre soif d’absolu et l’appel récurrent de notre corps animal, entre la douceur qui nous fascine et le plaisir qui nous tue.
Louis Farrell – La Malédiction mammifère
Le monde est bien trop tragique pour qu'on le prenne au sérieux. Aujourd'hui, seule la folie nous fait tenir debout.
A l'origine, le plaisir, c'est l'appât, une ruse de l'évolution qui incite les mammifères à procréer à certains moments favorables pour perpétuer l'espèce. Chez nous, les humains, le désir est permanent. C'est ce qui nous a fait progresser : comme ils ne pouvaient sauter les uns sur les autres en continuation, nos ancêtres Homo sapiens ont bien été obligés de refréner leur pulsion, de la transcender en somme. Ils ont mis le corps convoité à distance, ils l'ont magnifié, érotisé... Le sentiment amoureux est sans doute né de ce désir contenu et pacifié. Peut-être aussi l'art, la culture... En quelque sorte, nous sommes les enfants du désir.
Il suffit de si peu de choses en effet, une petite anfractuosité, un obstacle, un incident, pour orienter le cours de la vie.
Regarde, chaque vague suit toujours le même chemin, elle remplit les mêmes creux, les mêmes fissures, et, ce faisant, elle les creuse davantage. Il y a donc une sorte d’inclination immuable qui renforce de manière inéluctable les petites tendances. C’est ce que j’appelle la théorie du renforcement.
Aujourd’hui, on a toujours peur d’aller fouiller en dessous des choses.
En temps de guerre, le viol suit systématiquement la conquête, la femme est le deuxième territoire à envahir.
En temps de paix, ce sont les bonnes vieilles croyances religieuses que l'on va chercher. Voiles-moi ces jambes, ce ventre, ces seins, ce visage, enveloppez-moi ce beau corps de femme, ma propriété, pour que je puisse en jouir en exclusivité ! Ce n'est pas moi qui l'exige, mais Lui, là-haut (gloire à Lui !), dans Son infinie sagesse... Comme c'est commode !
Quant à elles, les pauvres, prises dans le filet des interdits sans cesse réinventés, elles se désolent ou s'en accommodent, se lovent sur les poitrines velues et se prêtent au rituel ancestral en tentant de dérober au passage une parcelle de plaisir.