Citations sur Avant la longue flamme rouge (109)
Peter Pan n'a pas besoin qu'on lui dise que la vie ressemble à un rêve, pas plus qu'un bateau n'a besoin de savoir qu'il ne touchera pas le fond de l'océan avant d'avoir coulé.
p.259
Derrière une ligne d'arbres abondants, les marécages débouchent sur une étendue de clarté. Un ponton avance dans la nuit à une centaine de mètres : un trait de feutre noir au milieu du ciel lacté. Au bout, un sampan est amarré. Large, grinçant, solide, une bonne vieille barque de pêcheur.
p.201
Les étoiles sont très jolies mais elles ne peuvent prendre part à aucune action ; elles se sontentent de regarder sans fin. C'est une punition qu'on leur a imposée pour quelque chose qu'elles ont fait il y a si longtemps qu'elles ne se rappellent plus ce que c'était.
p.159
Les nourrissons, tant qu’ils ne savent pas parler, n’ont pas de nom. Ils ont été baptisés par le père Michel, et ont reçu ce jour-là le prénom de « Marie » pour les filles et « Jean » pour les garçons, cependant personne ne les appelle jamais ainsi, ni ne les appelle à proprement parler. Ce sont « les nourrissons », « le nourrisson », et quand finalement on donne un prénom à un enfant, le jour de ses trois ans, un prénom khmer, il pleure, car déjà à cet âge il est capable de comprendre que cela signifie qu’il ne sera jamais adopté - et c’est d’ailleurs parce qu’il en est capable qu’on l’a prénommé.
Saravouth bloqué par ses blessures étudie la carte de Phnom Penh. Il dépêche Vanak dans chaque quartier, chaque rue. Il envoie Hermès dans les ruines de Troie à la recherche des survivants. Peter Pan dans Londres à la recherche de madame Darling. Quand il a l'idée de l'envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c’est logique : depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l'abri sous les fîcelles des mots. Où est-ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez monsieur Antoine, le libraire, avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n'y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot : Fermé à cause de la folie des hommes, les livres sont en vacances.
Saintes pose ensuite la seule question à laquelle il obtiendra, venant de la chirurgienne, une réponse :
- Pourquoi est-ce que j’ai l'impression que tout dans cette ville est érotique ?
— C'est parce que nous sommes assiégés, répond-elle. La ville entière attend de se faire prendre. Après un silence, elle relève la tête.
— Marx aurait dû lire Sade plutôt que Hegel. La lutte des classes n'est pas une guerre, c'est une partouze.
Saravouth a survécu à la guerre, mais rien en lui de ce qui était davantage que lui-même n’a survécu, sinon dix-neuf éclats d’obus.
« Je ne suis pas mort, m’a-t-il dit un soir, mais la mort grâce à moi est vivante ».
Le cheval est entré à l’intérieur de Troie.
Tu es orphelin maintenant, dit Vanak en choisissant le cirage et la graisse de phoque.
-Qu’est-ce que tu racontes ?
-Les adultes, quand ils volent, c’est parce que ce sont des voleurs. Les enfants, c’est parce que ce sont des orphelins.
Quand il a l’idée de l’envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c’est logique, depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l’abri sous les ficelles des mots. Où est ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez Monsieur Antoine, le libraire avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n’y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot « Fermé à de la folie des hommes, les livres sont en vacances ».
Ils ont de la vase jusqu’au genou. Les moustiques se posent sur leurs fronts, près des paupières enflées, sous leur menton. Rida et Thol respirent par la bouche, fort, sûrement à cause du paludisme qui le jour est contrôlable mais la nuit grattent par l’intérieur des nerfs. Après une heure de marche, éclairés à la seule lumière d’un croissant de lune visqueux, ils sentent enfin la présence de l’eau. Derrière une ligne d’arbres abondants, les marécages débouchent sur une étendue de clarté.