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Citations sur Les Contreforts (29)

Même quand il pleut, les ouvriers viennent. Ils travaillent lentement dans des maremmes de boue. Ils ne voient pas les cordons de lavande, les ronces rouges, les bouquets de menthe à la lisière de la colline, ni la luzerne sauvage aux écouvillons violets et aux fleurs à trois doigts ; ils ne voient pas non plus les gîtes des lièvres sous les cèdres. Ou bien ils les voient, mais ils ne peuvent pas faire autrement, car eux aussi ont des maisons, des enfants, des factures à payer et des emprunts à rembourser, des souvenirs…
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Depuis dix ans, d’un bout à l’autre du département, les centres-villes se vident tandis que leurs alentours se remplissent de maisons identiques, de ronds-points bizarroïdes et de lampadaires.
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Léon est comme un homme qui toute sa vie a cru vivre libre, mais vient de réaliser qu’il portait un joug invisible, celui d’une administration capable de décider du jour au lendemain de l’exproprier, de vendre ses vignes, de transplanter ses enfants.
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Sur les pics des Corbières habitent des démones invisibles appelées « sinagries ». Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, et n’agissent pas à proprement parler ; mais elles existent, et quand un enfant disparaît, si elles ne sont pas coupables, elles n’y sont pas non plus pour rien : elles n’ont pas avalé l’enfant, mais ne l’ont pas sauvé.
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L’hiver dernier, huit stères de bois n’ont pas été payés. Elle relance les clients par courriel, deux forains et un type de Perpignan. Puis elle regarde le prix auquel sont vendus les stères sur Internet, en prévision de l’hiver prochain. Elle ne comprend pas pourquoi celui du chêne vert a autant baissé. Aucun bois n’est meilleur que le chêne vert. Ce n’est pas avec ces résineux importés à bord de poubelles flottantes que les gens pourront correctement se chauffer. Il faut du bois, du vrai, pour une bonne flambée.
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Quarante hectares de vigne font au château une traîne de mariée tantôt d’émeraude, tantôt de rubis ou d’or mat, transmuée dans l’hiver en mantille de veuve.
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Dans l’enfance, Clémence et Pierre croyaient leur père immortel. Ils le croyaient vraiment, parce que Léon le leur avait répété des centaines de fois, et parce qu’il le leur avait même prouvé à deux reprises, en restant trois minutes trente sous l’eau, dans la piscine des Bertrou, et en tenant une braise dans la paume de sa main. (…)
Puis Mamita est morte. S’il avait pu, Léon lui aurait donné son immortalité, mais elle l’aurait refusée, c’est en tout cas ce qu’elle avait dit à Pierre trois jours avant de le quitter : « Tous les parents refusent l’immortalité que voudraient leur léguer leurs enfants. » Alors une pensée lui avait traversé l’esprit, dont le souvenir aujourd’hui est plus tragique que jamais : si les grands-parents peuvent mourir, les parents ne seront pas éternels longtemps.
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Quarante hectares de vigne font au château une traîne de mariée tantôt d'émeraude, tantôt de rubis ou d'or mat, transmuée dans l'hiver en mantille de veuve. (p. 14)
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— Léon n’est pas rentré ? demande-t-elle.
Elle ne partira pas à sa recherche. Elle lui a trop couru après dans les bistros, les cliniques, les fossés ; cette fois, elle préfère attendre qu’il revienne à Montrafet par ses propres moyens, avec comme d’habitude un œil poché, de l’eau gazeuse, la conscience en charpie, du mercurochrome, l’œsophage brûlé à l’armagnac et, partout, des Tricosteril.
— J’ai essayé de l’appeler, mais son téléphone est éteint, dit Diane en déposant ses papiers sur une console du vestibule, à côté d’une paire de lance-fusées Second Empire et d’une dizaine de cartes à jouer : les atouts d’un jeu de tarot, illustrés à la manière de Jérôme Bosch.
Sur le trois, un paon à visage humain enferme une nonne dans un four à pizza. Qui a posé ces cartes là en désordre ? Quel esprit malin est venu jouer pendant la nuit ?
— On a essayé aussi, dit Clémence. On a laissé un message.
— Il ne l’écoutera pas.
— On devrait aller le chercher, dit Pierre.
Diane balaie l’air avec sa main, puis replace ses cheveux sous la barrette en bois qu’elle peine à refermer.
— C’est inutile. Il a dû profiter de son rendez-vous à la chambre pour voir des amis, ou faire un esclandre, comme la dernière fois, parce que le vin n’était pas servi à température. On sait, hein, de quoi il est capable.
— Mais maman, insiste Pierre, il lui est peut-être arrivé quelque chose…
— Ne t’inquiète pas.
— Si tu me prêtais la voiture, suggère Clémence, je pourrais…
— C’est hors de question. Tu n’as pas ton permis ; tu l’auras comme tout le monde à dix-huit ans. D’ici là, je t’interdis de conduire. Je sais que tu l’as prise l’autre jour, lorsque j’étais chez les Jonquères avec la camionnette, j’ai vu la jauge, et quand je suis rentrée le capot était tiède.
Dimanche dernier, Clémence a passé la journée à Port-la-Nouvelle avec Sophie, Rachtouille et deux copains de Lézignan : Lionel et Alexandre. Comme aucun d’entre eux n’avait de voiture, elle a proposé d’emprunter celle de sa mère en douce. Pierre n’a pas voulu les accompagner ; les gars de Lézignan se moquent de lui quand ils le voient. D’ailleurs, dimanche dernier, lorsque Lionel a prétendu qu’il était « à côté de la plaque », Clémence lui a fourré sa glace à l’italienne dans l’œil, et lui a pincé le nerf de la cuisse, en le prévenant que, s’il parlait encore une fois de son frère de cette façon, elle lui ferait avaler tout le sable de la plage ; elle sentait le nerf rétrécir sous ses doigts, le pauvre Lionel hurlait de douleur.
— Ce n’est pas ce que tu crois, maman, en fait, j’ai…
— Je ne veux pas savoir. Il n’y a aucune raison valable. Je ne veux plus que tu prennes ma voiture, est-ce que c’est clair ?
Clémence fronce les sourcils. Autrefois, sa mère leur passait tout ou presque. Chaque enfant du village rêvait d’en avoir une qui fût aussi libérale. Mais depuis quelques mois, Diane est plus dure, ne veut plus jouer, et ne veut plus s’asseoir près de la cheminée, après le repas, pour « débriefer » ; elle n’éclate plus de rire, ou à peine, lorsque Léon se lance dans un de ses récits rabelaisiens.
— Est-ce que c’est clair ? répète-t-elle.
— Très clair.
Pierre jurerait avoir vu une carte du jeu de tarot, le quatre, s’animer : un moulin, une dame en amazone sur une jument palomino, une ombrelle et des feuilles mortes.
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« De gros traits d’eau tombent tout à coup, et entrent dans la tour carrée par la fenêtre. On entend un coup de tonnerre, puis quelques secondes après un arc électrique tranche le ciel ruisselant.

Le château est une carène craquante. Pierre sent la tour balancer de gauche à droite. Il voit les autres osciller. Les mâchicoulis roulent-boulent dans les vignes et les rosiers morts. Les éclairs pétaradent à qui mieux mieux. Le ciel sera bientôt entièrement à vif. Pierre voit les premières coulées de boue. L’atmosphère est psychotique. Le château va couler. Il va flamber. S’ouvrir. La boue se jette sur les remparts. La terre veut enterrer Léon : elle l’appelle. Les éclairs s’abattent sans discontinuer. Ce n’est plus de la pluie, mais des vagues sur les flancs. Tout craque, même si pour l’instant tout tient. Les gendarmes sont encore là, dans la nuée et l’ombre. Ils vont donner l’assaut d’une minute à l’autre !

Pierre lève les yeux et aperçoit en haut de Montahut, sur les pinacles de roche blanche, des flammes. Des flammes ! Les cyprès et les chênes verts brûlent ! Un éclair est tombé sur l’humus sec. Les langues de feu grandissent dans les arbres.

L’orage et l’incendie s’affrontent. La pluie est phénoménale. Des cascades reviennent dans les éclairs. Des torrents de boue dévalent les chemins. Au fond du temple des nuages, Pierre voit briller des arbres de lumière. Les couronnes d’orties brûlent. La pierre fond sous les crocs du chien d’ombre. En l’air, ce sont des odeurs de poivre, d’argile fraîche, de résine, de caramel, de métal, d’oisillon mort, de coquillage cramé. Pierre a reconnu l’incendie de son enfance. Les souvenirs volent autour de lui en pommes de pin enflammées.

Les gendarmes ne voient-ils pas que l’enfer descend de la colline, vers Montrafet ? N’entendent-ils pas ce grondement souterrain ? Croient-ils vraiment que leurs camionnettes suffiront à les protéger ? »
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