Citations sur Château, tome 1 : Le château (16)
Je jetai un coup d’œil à la ronde et vis d’autres femmes sortir de leur abri et partir travailler, comme un jour normal dans cet enfer. Comment les hommes forçaient-ils les femmes à se soumettre s’ils n’avaient pas d’armes ? Comment y arrivaient-ils alors qu’elles étaient dix fois plus nombreuses qu’eux ?
Peut-être pourrais-je organiser une mutinerie.
Ce que je craignais le plus, c’était ce que ma sœur était en train de subir. Il était probable qu’elle se retrouve dans la même situation que moi. En dehors du fait que nous étions enfermées contre notre gré et forcées à travailler comme des esclaves, nous n’étions pas en danger immédiat. Ils ne semblaient pas maltraiter les femmes à moins d’y être obligés. Ce qui les intéressait, c’était la productivité plutôt que nous forcer et nous violer.
On récompense les fleurs obéissantes et bosseuses avec les produits essentiels – vêtements chauds, nourriture, eau. Celles qui nous rendent la vie dure n’ont pas droit à de tels luxes.
Nos corps seraient exploités jusqu’à n’en plus pouvoir, puis nous serions enterrées quelque part dans cette forêt pour être dévorées par des loups ou d’autres animaux sauvages, quand la neige fondrait et révélerait nos cadavres. Le froid préserverait nos corps, et notre chair pourrait être arrachée de nos joues par des mâchoires puissantes. Petit à petit, nos restes ne deviendraient plus qu’un tas d’os. Nous n’avions pas de famille, et personne ne franchirait l’océan pour nous retrouver.
Tant que je n’arriverais pas à nous détacher, je ne pourrais pas me défendre ou me battre. Et quand bien même, j’étais certaine qu’ils continueraient à nous droguer pour que nous restions dociles. Quand le dosage ne ferait plus effet, ils l’augmenteraient jusqu’à ce que nos cœurs cèdent.
C’était une piste usée avec des traces de pneus profondes sous une mince couche de neige. Des arbres poussaient de chaque côté, leurs branches couvertes de poudreuse, fantomatiques sans leurs feuilles. Je regardai dans chaque direction, mais ne vis rien sur des kilomètres… à perte de vue.
Je me penchai et me servis de mes dents pour entailler la corde, pour essayer de l’humidifier et de la faire glisser sur ses poignets, mais les nœuds étaient très serrés, la corde épaisse et rêche. Il me faudrait un mois d’effort pour y arriver.
Je m’efforçai de lutter contre l’envie de baisser les paupières, mais je perdis le combat. Mes yeux se fermèrent et mon corps s’affala sur le siège. La dernière chose que j’entendis fut le murmure de ma sœur.
Il y avait mille et une choses géniales à faire à Paris. Être coincée dans une voiture avec ces deux tordus n’en faisait pas partie. Vu sa beauté, elle pouvait avoir tous les hommes qu’elle voulait, mais elle se contentait toujours du premier qui l’invitait à sortir. Incompréhensible.
J’essuyais des revers dans ma vie à cause de ses plans foireux. À Paris, ma vie était devenue plus facile. Je m’étais rendu compte que je ne voulais plus retourner en Amérique. Enfin, j’étais prête à vivre ma vie de manière indépendante. Mais elle était ma sœur… et cet amour, ce lien, cette envie de la protéger ne me quitteraient jamais.