Jack Reacher - HS : Argent sale

En 1936, le département du Trésor commença à faire construire le Gold Vault, ou coffre d’or, et finit par transférer chez nous la plus grosse partie des réserves d’or à bord d’un convoi ferroviaire lourdement blindé. À l’heure actuelle, notre chambre forte souterraine sécurisée abrite plus de 147,3 millions d’onces troy4 d’or, essentiellement sous la forme de lingots d’or de 12,4 kilos, d’une pureté titrant de 90 % à 99,9 %. L’autre partie de la réserve d’or des États-Unis est entreposée à West Point et à Denver.

Baldani s’arrêta devant un poste de sécurité de plain-pied, à hauteur des grilles ouvertes ; Qouique « ouvertes » fut un bien grand mot. Les lourdes grilles de fer étaient certes repoussées, mais douze bornes obstacles se dressaient sur la chaussée par ailleurs hérissées de plusieurs rangées de herses pareilles à des mâchoires de crocodile.
- On va aller se faire tripoter, Wolfie, lança Baldani.
Un garde dont le chandail semblait être rembourré avec des sacs de béton à prise rapide vint ouvrir la porte de la voiture. La main en visière pour se protéger du soleil, Will regarda autour de lui. La dernière fois qu’il s’était retrouvé au milieu d’autant d’hommes lourdement armés, il faisait une descente dans un entrepôt du port de Savannah, une opération conjointe du FBI, de la DEA et de l’ATF.
Baldani balança clés, briquet et carte d’identité dans une bannette qui fut ensuite passée dans un détecteur à rayons X, mais le contrôle s’arrêta là pour lui. Il s’appuya contre le grillage et alluma une cigarette en attendant que le tour de Will fût terminé. Il n’avait pas été simple d’entrer sur la base mais, arrivé au coffre, il devenait aussi difficile de passer l’inspection que… d’entrer dans Fort Knox.

— Passons… (À la page suivante, Lukather suivit du doigt la liste de vérification des antécédents de Jack Wolfe.) Deux CEI. Divorce tout sauf paillard. Situation de crédit du même acabit. Qu’est-ce qui vous fait croire que je vais vous payer quinze dollars de l’heure, logé blanchi, pour avoir le privilège de vous voir bosser les jours qui viennent sur ma base ?

La main posée sur le dossier fermé devant elle, Lukather laissa planer un silence censé l’avoir à l’usure.

Will ne s’usa pas.

L’horloge au mur fit un tac dissonant.

Baldani laissa échapper un soupir de fumeur asthmatique.

— Dave, je crois que nous nous sommes dégoté un authentique Captain Jack, dit Lukather. (Elle ouvrit le dossier et fit mine d’en prendre connaissance.) Stationné à Tataouine. Cinquième de promo chez les cow-boys de Camp Mackall. Un gilet à ferblanteries ramené des antipodes. Le gagneur de galuches. Le briscard dans toute sa splendeur. T’as toujours été le plus couillu de la bande.
Will n’avait pas eu le temps de potasser l’argot militaire, il ne saisit donc pas grand-chose, à part la dernière partie, qui lui semblait correcte.

Will prit l’une des chaises face à elle. Baldani resta debout à quelques centimètres de l’épaule de Will – encore un truc du gentil et du méchant.
— Eh bien, Wolfe, vous avez eu quelques ennuis depuis que vous avez quitté la maison, dit Lukather.
Ça ne sonnait pas comme une question. Will, du coup, se dispensa de répondre.

Debout, Will devait baisser la tête. Il manquait une bonne cinquantaine de centimètres par rapport à la hauteur normale d’un faux plafond. Les murs de lambris sombre avaient gondolé avec le temps. Un côté entier de la pièce était tapissé de classeurs à tiroirs verrouillés. Le bureau métallique réglementaire du colonel était appuyé contre le mur d’en face. Il n’y avait pas de fenêtre. L’air stagnait. On se serait cru dans un cercueil.
Le colonel Lukather pointa le plafond du doigt pour donner des explications :
— Le brichef voulait avoir une douche dans son bureau, à l’étage. La merde dégringole toujours sur ceux d’en bas. Pas besoin d’un Velux, Wolfe. Asseyez-vous.

— On se dépêche, les gars.
Toute menue, le colonel Lukather portait ses longs cheveux blonds relevés à la militaire. Un moulinet de la main vint souligner son impatience.
— Je vous attends.

Il avait une identité en béton, indémontable à moins d’être capable de craquer les bases de données du Pentagone. Jack Phineas Wolfe, démobilisé avec les honneurs en 2016. Deux CEI. Des travaux d’intérêts généraux. De la probation. Divorcé. Sans enfant. Le compte à découvert. En dépassement du maximum autorisé sur ses cartes de crédit. Expulsé de son dernier domicile connu. Sa voiture saisie par la banque. À la recherche d’un emploi honnête ou s’en rapprochant.

Mais Will n’était pas venu à Fort Knox avec sa casquette de flic. Il devait se faire passer pour un ancien capitaine de l’armée qui, de mauvais choix en mauvais choix, avait fini par se retrouver de l’autre côté du miroir, après deux périodes de service passées en Afghanistan.

La porte s’ouvrit enfin.
Le major Dave Baldani lança à Will un regard narquois.
Un regard que Will connaissait bien. Celui du gentil qui s’apprête à remettre le méchant à sa place. Il s’en servait souvent, lui aussi, dans le cadre de son emploi principal, à savoir agent spécial au Georgia Bureau of Investigation.