Amours fauves

Les femmes, toutes apprêtées avec raffinement, ne l’avaient pas non plus laissé indifférent. Certaines s’amusaient à le frôler de leurs étoles ou à lui offrir de radieux sourires. Des parures chatoyantes ornaient les oreilles et les cous, les décolletés pigeonnants ainsi mis en valeur. Les cheveux relevés dans des chignons plus extravagants les uns que les autres, les dames riaient derrière leur masque. Plumes, dentelles, sculptures délicates, l’accessoire indispensable de la soirée revêtait des aspects différents. Originalité, sobriété, romantisme ou fierté mis en avant. Chaque invité s’amusait d’ignorer l’identité de son voisin.

À force de s’enfermer dans des salles obscures et sans vie, affairée à des lectures sombres, elle considérait les êtres humains comme inintéressants. L’avis non objectif d’un collègue ne valait rien en comparaison des faits détaillés dans ces documents, étayés par des photographies morbides. Les réflexions sans fondement de policiers désireux de faire leurs preuves l’épuisaient. Elle préférait s’isoler, le nez plongé dans les écrits.

Il n’était pas là pour se faire des amis, mais pour rendre la vie plus aisée au propriétaire des lieux, quel qu’en soit le prix. Il était à son service depuis de longues années et il savait tout de lui : ses goûts, ses habitudes, ses exigences… Il parvenait même à anticiper ses désirs. Pour son métier, il ne laissait rien au hasard et se donnait corps et âme. Un choix assumé et porté avec fierté.

Les jeux ne menaient nulle part, ils servaient juste de distraction à son esprit aiguisé qui n’en requérait pas. Elle préférait faire son devoir plutôt qu’évoluer avec insouciance et légèreté. Tout le contraire de Tom qui se complaisait dans des mondanités frivoles et considérait son travail comme un vulgaire passe-temps.

Dans ce milieu d’hommes, Meg avait appris à ne pas se formaliser de ce genre de démonstrations nourries à la testostérone. Il la respectait et ils le savaient tous deux. De toute manière, sa fierté masculine ne l’autorisait pas à une réponse différente, mais l’agent Difen s’en moquait. Seul le résultat comptait. Perdre volontairement restait une défaite, peut-être même plus honteuse qu’un affrontement dans lequel on se donnait à cent pour cent.

Bien sûr, les apprentis criminels prenaient souvent exemple sur des mentors, rien d’inhabituel à ce que des homicides similaires se retrouvent sur plusieurs années. Après tout, l’imagination avait ses limites, et les meurtriers préféraient se baser sur des actes déjà commis au lieu de chercher à innover. Un phénomène aisé à constater grâce aux archives. Raison pour laquelle ses supérieurs l’empêchaient de faire des liens hâtifs, plus enclins à croire qu’il s’agissait d’un assassin inspiré par l’œuvre d’un prédécesseur plutôt qu’un tueur en série.

Si chacun tenait son rang et respectait les conditions qui lui étaient liées, tout serait plus simple d’après lui. Les pauvres ne s’évertueraient pas à vivre comme les riches, limitant ainsi les débordements propres à une telle population – toujours selon lui. Meg détestait ce genre de discours. Elle n’était pas bien née, mais sa détermination sans faille et son talent l’avaient conduite au poste qu’elle convoitait.

Certes, il ne pensait que la moitié – et encore – de ce qu’il lui disait, mais la gent féminine lui offrait un tout autre genre de réponse en général. Il s’était habitué à ses refus constants, cela l’amusait même. Pourtant, si elle daignait tomber un jour sous son charme, il en profiterait volontiers. Loin des gravures de mode, Megane dissimulait néanmoins sous ses tenues strictes des atours visibles pour l’œil avisé de Tom. Une poitrine voluptueuse, un fessier galbé et un ventre à l’adorable léger rebond. Malgré tous les sports de combat qu’elle pratiquait, elle ne parvenait pas à s’en débarrasser. Son appétit devait être vorace ! Un trait qui la faisait d’autant plus émerger du lot. Si seulement son joli minois se parait d’un air différent de son sérieux habituel, elle serait resplendissante !

Megane avait l’habitude des tentatives de séduction de son collègue. Elle n’y faisait jamais attention, même si elle reconnaissait ses charmes. Jamais ouvertement ! Si par malheur elle le flattait, il deviendrait encore plus insupportable. Cette certitude en tête, elle continuait de l’éconduiresans faillir, en feignant l’indifférence et en usant d’ironie. Au fur et à mesure, ces échanges ressemblaient à un jeu entre eux.

Le couple envoûté s’isole enfin. Une main promenée. Un soupir extasié. Souffle saccadé. Le museau moustachu proche de son cou, son esprit s’évade. Souhaitant le sentir entier, ses doigts cherchent les contours du masque. Pouce à la gorge, un liquide chaud s’écoule de sa nuque. Crocs pointus. Yeux écarquillés. Le tigre arrache sa carotide. Avide, il mastique avec acharnement. Douleur. Souffrance et peur. Privée de ses cordes vocales, elle ne peut pousser aucun cri. Sa vie s’enfuit. Visage livide. Ses forces la quittent.