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Citations sur Le sourire d'Homère (13)

Et il commence par forger un bouclier qu’Homère décrit minutieusement :
« Le bouclier est fait de cinq plaques et Héphaïstos cisèle sur lui de nombreux tableaux, nés de son esprit savant.
Il y montre la terre, le ciel et la mer, le soleil infatigable et la lune en son plein, ainsi que tous les astres dont le ciel se couronne : le puissant Orion, les Hyades et les Pléiades, puis l’Ourse, qu’on appelle aussi le Chariot, qui tourne sur elle-même en épiant Orion ; c’est la seule constellation qui ne se baigne jamais dans le fleuve Océanos.
Il y figure aussi deux belles cités humaines. Dans l’une, on voit d’abord des noces, des festins. À travers la ville un cortège, à la lueur des torches, emmène hors de leur maison les mariées, et le chant nuptial s’élève de la foule. Plusieurs jeunes danseurs virevoltent au son des flûtes et des lyres, et les femmes, debout devant leur porte, s’émerveillent. Les hommes, eux, sont assemblés sur la place publique (agora). Là s’élève un conflit, suscité par un meurtre, et, pour le prix du sang, deux hommes se querellent : l’un prétend avoir payé toute sa dette et le déclare au peuple, l’autre nie avoir rien reçu. Tous les deux, pour en finir, réclament un arbitrage. La foule pousse des cris opposés, chacun prenant parti pour l’un ou pour l’autre. Des hérauts la contiennent. Les anciens vont s’asseoir dans un cercle sacré, sur des pierres polies. Ils reçoivent des hérauts à la voix claire le sceptre, et chacun, à tour de rôle, pour donner son avis, se lève, sceptre en main. Sur le sol, au milieu d’eux, ont été déposés deux talents d’or : ils iront à celui qui, d’eux tous, aura exprimé la sentence la plus juste.
Autour de l’autre ville, on distingue deux troupes dont les armes resplendissent. Les assaillants hésitent entre deux partis : ravager la ville convoitée ou se partager les richesses qu’elle contient. Mais les assiégés, eux, loin de céder, s’arment en secret pour tendre une embuscade.
Tandis que leurs enfants, leurs femmes et tous ceux que retient la vieillesse se tiennent debout sur les remparts, ils sortent, en compagnie d’Arès et de Pallas Athéna, qui sont en or tous les deux et vêtus d’habits d’or. Armés, grands et beaux, comme il convient à des divinités, ils tranchent nettement sur tout leur entourage : les hommes, à côté d’eux, sont de taille plus petite. Arrivés à l’endroit choisi pour l’embuscade, près d’un fleuve où tous les troupeaux viennent boire, ces hommes, revêtus du bronze étincelant, se mettent à couvert et placent, à l’écart de leur troupe, deux guetteurs qui verront arriver les moutons et les bœufs aux cornes recourbées. Voici les animaux, suivis de deux bergers, qui font sonner gaiement des airs sur leur pipeau, sans se douter du piège. Dès qu’on les voit, on bondit, on coupe vite la route au beau troupeau de bœufs et de blanches brebis, et on égorge les bergers.
Mais, chez les assaillants, les éclaireurs postés en avant du Conseil ont entendu le grand vacarme autour des bœufs. Alors, sans perdre un instant, ils montent tous sur leurs chars aux fringants attelages.
Ils arrivent bientôt sur les bords du fleuve et ils engagent la lutte. Les javelots de bronze volent dans les deux sens. Au sein de la bataille on voit Eris (“Conflit”), Kudoimos (“Tumulte”), et Kèr (le “Sort fatal”) qui se saisit d’un combattant blessé mais encore vivant, ou d’un autre qui n’est pas encore blessé, ou d’un autre qui est déjà mort, et les traîne par les pieds à travers la bataille, son vêtement rouge de sang humain. Ces divinités prennent part au combat, semblables à de vrais mortels, et elles traînent les cadavres de leurs victimes.
Puis Héphaïstos représente un vaste champ au sol meuble, gras, trois fois retourné. De nombreux laboureurs, dans un sens puis dans l’autre, poussent leurs attelages. Quand ils font demi-tour après avoir atteint la limite du champ, un homme vient vers eux et il met dans leurs mains une coupe de vin à la douceur du miel. Puis on les voit bientôt reprendre leur sillon : ils veulent terminer à tout prix leur labour profond. Derrière leurs pas, la terre noircit, comme dans un vrai champ qu’on laboure, bien qu’il soit tout en or. C’est d’un art merveilleux !
Il y figure encore un domaine royal. Des ouvriers font la moisson, tenant en main des faucilles tranchantes : ils couchent les épis en ligne, par poignées. D’autres sont occupés à lier ces javelles : ce sont trois botteleurs. Derrière eux, des enfants ramassent les javelles, les portent dans leurs bras et les passent sans fin. Au beau milieu, debout sur un sillon, le roi, silencieux, son sceptre en main, est là, le cœur en joie, tandis que ses hérauts, sous un chêne, à l’écart, apprêtent un gros bœuf qu’ils ont sacrifié. Et les femmes, pour le repas des ouvriers, n’épargnent pas la blanche farine.
Ensuite il cisèle un beau vignoble, tout en or, chargé de lourdes grappes ; de noirs raisins y pendent ; des échalas d’argent les étayent partout. Il trace tout autour, en smalt, un fossé, puis met une clôture, en étain, tout du long. À la vigne conduit un unique sentier, que suivent les porteurs au moment des vendanges. Des filles, des garçons, jeunes gens au cœur tendre, dans des paniers tressés emportent le fruit à la douceur du miel. Un enfant, parmi eux, tire des sons plaisants d’une claire cithare, en chantant d’une voix fine une belle chanson ; et les autres, en suivant le rythme, frappent le sol tous ensemble, de leurs pieds bondissants, au milieu des chansons et des cris.
Puis il fait un troupeau de bœufs aux cornes hautes. Ces bœufs, d’or et d’étain, meuglant, quittent l’étable et vont au pâturage. Ils avancent le long d’un fleuve bruissant et de souples roseaux. Quatre bouviers, en or, sont alignés à leurs côtés, et, derrière, neuf chiens aux pieds vifs les suivent. Mais voilà que deux lions effroyables se saisissent d’un taureau qui mugit, en tête de troupeau. Il meugle sans arrêt tandis qu’ils l’entraînent. Les hommes et les chiens bondissent sur leurs traces. Mais déjà les lions, qui ont déchiqueté la peau du grand taureau, dévorent ses entrailles et lapent son sang noir. Et c’est en vain que les bergers les pourchassent, excitant leurs chiens rapides, qui n’osent pas les mordre et, arrêtés près d’eux, aboient, en se gardant d’approcher.
Puis l’illustre Boiteux cisèle un grand pacage, au sein d’un beau vallon, avec des brebis toutes blanches, des huttes bien couvertes, des étables et des parcs.
Il représente ensuite avec art une place de danse (khoros), pareille à celle qu’autrefois, dans la vaste Cnossos, Dédale avait faite pour Ariane aux belles tresses. Là dansent des garçons et des filles très recherchées, en se tenant la main au-dessus du poignet. De fins tissus habillent les danseuses ; les danseurs sont revêtus de belles tuniques, que l’huile fait briller d’un grand éclat. Les filles ont au front de splendides couronnes, tandis que les garçons portent des poignards en or, avec des baudriers d’argent. Tantôt, pleins d’aisance, à pas savants, ils tournoient tous ensemble, comme un tour de potier que l’artisan, assis, et l’ayant bien en main, essaye et met en marche, et tantôt, sur deux rangs, ils courent les uns vers les autres. Autour du chœur charmant, une foule nombreuse, en liesse, fait cercle. On voit aussi virevolter, au milieu d’eux, deux virtuoses.
Enfin, à l’extrême bord du bouclier solide, Héphaïstos représente le grand et puissant fleuve Océanos » (Iliade. XVIII, 481-608).
Homère suit un plan qui manifeste le goût de l’ordre. Il commence et termine sa description du bouclier par ce qui circonscrit le monde : la voûte céleste, elle-même entourée par un fleuve mythique, Océanos. Le monde est fini. La pensée grecque est une pensée des limites. On ne peut avoir de prise, même intellectuelle, que sur ce qui est déterminé, enserré dans des « termes », des bornes.
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Les grecs ont décidé d’être intelligents. (…) Pour être intelligent, il faut le vouloir. Ce qui implique des efforts. Et aussi des risques.
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Dans la Bible, la sexualité est liée au châtiment infligé par le Créateur au premier couple humain. Pour expier leur désobéissance, Adam et Ève, qui avaient été créés immortels, devront mourir, après avoir mis au monde des enfants, seul moyen désormais de se perpétuer. Et, pour donner naissance à des enfants, ils devront périodiquement unir leurs corps. L’acte sexuel fait partie de la punition. Iahvé Elohim dit à Ève : « Je vais multiplier tes souffrances et tes grossesses : c’est dans la souffrance que tu enfanteras des fils. Ton élan sera vers ton mari et, lui, il te dominera » (Genèse III, 16). Les auteurs – mâles – de la Bible, mettent à profit ce mythe pour justifier le statut d’infériorité réservé à la femme, née d’une côte d’Adam (Genèse II, 21-22).
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Ce qui a manqué le plus aux Hébreux et à leurs disciples monothéistes, comparés aux Grecs, c’est le désir de voir clair. Ils ont pris leurs mythes – qui ne sont pas plus vraisemblables que les récits d’Homère – pour la Vérité. Alors que les Grecs ont choisi d’ouvrir les yeux, ils ont préféré les fermer. Entre ces deux attitudes on peut hésiter.
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« N’aspire pas, mon âme, à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible » (Pythique III, 61-62) Le cœur de la pensée grecque est dans ces deux vers.
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Dire et répéter, à partir de quelques vers isolés de l’ensemble des œuvres homériques, qu’Achille a choisi de mourir jeune, pour obtenir la gloire, est une absurdité. Même si l’Iliade et l’Odyssée ont des auteurs différents, les deux œuvres forment un tout. L’auteur ou les auteurs de la seconde connaissaient par cœur la première. Ils n’auraient jamais mis en contradiction l’Achille de l’Iliade et l’Achille de l’Odyssée. Or, ce dernier, après sa mort, ne fait aucune allusion à un destin qu’il aurait choisi, ni à la gloire qu’il comptait gagner à l’aide de ce choix. Son vœu, je l’ai montré, était de survivre à la guerre, en compagnie de Patrocle.
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On peut dire aussi, dans le même sens, qu’il y a, aux yeux des Grecs, diverses formes de croyances et différents niveaux d’existence. La pensée binaire exclusiviste, qui fonctionne sur le mode du Oui/Non, Vrai/Faux, Bien/Mal, typique de la pensée hébraïque et, par la suite, du monothéisme, est étrangère aux Grecs. Les dieux grecs appartiennent au niveau de l’imaginaire, et l’imaginaire est l’une des composantes de la réalité.
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Ovide se souvient de cet épisode, et du rôle qu’a joué Athéna contre Poséidon, lorsqu’il écrit : « Saepe premente deo fert deus alter opem », « Souvent, quand un dieu persécute, un autre dieu vient à l’aide » (Tristes I, 2, 4). Ce seul vers pourrait résumer l’avantage du polythéisme sur le monothéisme. Si l’on ne dépend pas d’un dieu unique mais de plusieurs, qui, du fait même qu’ils sont plusieurs, ont forcément des points de vue variés et des volontés différentes, chaque homme a devant lui un champ plus ouvert de possibles, et il peut acquérir une plus grande confiance en son avenir. Je l’ai signalé déjà à propos des sacrifices, qui peuvent être offerts, pour se donner les meilleures chances, soit à l’« un des dieux » en particulier, soit à « tous les dieux ».
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Le sens de l’honneur, qui implique le respect des autres, suppose que l’on reconnaisse à chaque individu une valeur propre, le droit d’avoir des opinions personnelles et de les exprimer librement. C’est dans cet esprit que le chef de l’expédition grecque, Agamemnon, aussi bien que le roi des dieux, Zeus, réunissent périodiquement les hommes ou les dieux, pour débattre avec eux des décisions à prendre. Aucun homme, aucun dieu ne dispose d’un pouvoir absolu.
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Homère et les Grecs de son temps ont humanisé les dieux reçus des ancêtres, et divinisé des phénomènes naturels, des sentiments ou des idées. Ainsi, ont-ils rendu plus perméables l’un à l’autre le monde humain et le monde divin.
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