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Citations sur Le parc (2)

Dans ce fauteuil en cuir, là-bas, à droite de la cheminée et du lampadaire, un homme est assis de profil, un verre à la main. Devant lui, une femme par instants s’anime, et je peux voir sa robe rouge derrière les rideaux, ses gestes, le mouvement de ses lèvres quand elle parle, tandis qu’il s’est penché pour l’écouter, et je crois l’entendre, lui, disant comme d’habitude et distraitement : « Bien Sûr ». Oui, rien ne va m’échapper si je m’assieds dans le petit fauteuil traîné sur le balcon étroit où je peux, de biais, allonger les jambes, les poser sur la galerie de fer forgé aux feuillages figés le long de tiges symétriques, courbes, rondes, recourbées, noires. Là-haut les cheminées, alignées en désordre sur les toits, fument, laissant monter dans l’air encore visible un mince panache foncé ; et les oiseaux, les hirondelles qui ont mené pendant le crépuscule leurs vols compliqués, se séparent, traversent à tire-d’aile cette large trouée de ciel après la pluie.
.......

Deux coups de feu viennent de claquer, en bas, vers la droite. Voilà. Les détonations se succèdent, à présent, quelques-unes brèves, sèches ; d’autres plus sourdes ; d’autres en rafales automatiques se gagnant de vitesse, couvertes de temps en temps par une déflagration plus ample, plus chargée. Une fusée éclairante rouge s’épanouit là-bas : le signal. Il s’arrête, crie un ordre, fait un signe. Revenant sur leurs pas, ils courent tous les cinq au secours de l’autre groupe qui vient d’ouvrir le feu. Lui trébuche contre les pierres, tombe, se relève (la paume de sa, main droite saigne), se remet à courir (ou bien elle conduit la voiture à vive allure, elle accélère encore, les phares ouvrent entre les arbres un tunnel lumineux), il dévale la pente (alors qu’il est inutile de courir puisque, malgré les mouvements rapides des jambes, je n’avance pas d’un centimètre, je vais être rejoint, mais on retarde le plaisir de m’attraper, me laisse dans cette position humiliante où j’essaie vainement de fuir) ; il court, il se retourne pour voir s’il est bien suivi (pas plus qu’il n’y a de fantômes forcés de disparaître au lever du jour, il ne peut être atteint puisqu’il sait qu’il doit l’être, qu’il a imaginé les moindres détails de l’accident reculé ainsi à des limites irréalisables ;
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Il ne faut pas dormir, pas encore. Souvent, il sera resté ainsi éveillé sans motif, dans un coin du salon ou de la bibliothèque ; veilleur solitaire, discret ; inexplicable et gratuite présence à une telle heure, en un tel lieu ; assis, immobile, n’attendant rien, attendant. Et pas seulement les nuits qui précédaient un voyage, mais pour rien, les yeux ouverts, fixant le tapis à ramages rouges, le parquet. Tout à l’heure, il prendrait la valise près de la porte, il sortirait, il descendrait les marches du perron, irait par la grande allée du jardin, vers la grille, un coq chanterait dans la basse-cour. Et ce serait l’odeur fraîche et mouillée des pelouses, la feuille humide arrachée en passant au laurier, le chemin noir, la rue déserte et sombre, et la gare, là-bas, vers laquelle il commencerait de courir...

Ou bien, pendant des heures, les yeux brûlés de fatigue, il restait là comme s’il prenait à la fois toutes les distances de la pièce et les résumait en lui ; comme s’il voulait persister dans l’entre-deux au-delà des limites permises, conserver chaque seconde à l’intérieur de la suivante (et, en même temps, devenir leur succession instantanée, leur invisible différence imagée par le décor) ; comme s’il tentait de pousser le regard à un point de rupture insoupçonné, provoquer la crise décisive, supprimer le spectacle ou, au contraire, s’y transférer... Recommençant, se répétant, continuant contre l’évidence, contre toute raison (sait-on jamais, peut-être suffit-il d’y penser, d’assister, d’insister, au hasard, dans le même sens). Se forçant à vivre le bois, les étoffes ; retrouvant une route ici, sur cette latte ; et, là, sous le fauteuil, la topographie d’anciens combats, le lac où trente soldats avaient fait naufrage, la forêt des pièges, la plaine des batailles rangées... Souterrain, ce canapé où passait le train électrique roulant vers la mer, la longeait durant l’après-midi ensoleillé (elle fume dans le couloir, le visage penché de biais à la fenêtre, ses cheveux rejetés sur le côté, et le train qui la ramène ralentit aux abords de la ville dont les lumières, soudain, se multiplient) ; villes et jardins suspendus, les fauteuils ; et la table, près de la fenêtre aux rideaux fermés, figurait le pupitre éclairé du chef d’orchestre avant que se dévoile la scène (quand, de l’autre côté, tout se prépare, change, déménage et peut-être disparaît).
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