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Critique de Musa_aka_Cthulie


Quand faut y aller, faut y aller (ce qui pourrait être la devise d'Antigone, après tout). Mais c'est une souffrance toujours renouvelée que de m'attaquer à la critique d'une pièce de théâtre grec antique. C'est une joie et une souffrance (pour reprendre une célèbre réplique de Truffaut , qu'il a utilisée pour une mise en abyme dans un film sur le théâtre, soit dit en passant, ce qui n'a d'ailleurs strictement rien à voir avec Antigone).


Donc, souhaitant faire une pause du côté des suites désastreuses de la guerre de Troie, ne voilà-t-il pas que je me lance dans les malheurs innombrables des Labdacides. Qui valent largement ceux des Atrides, mais ça vous le saviez déjà.


L'histoire d'Antigone fait suite à l'histoire des Sept contre Thèbes. Oui, mais, me direz-vous, ne serait-ce pas Eschyle qui a composé Les Sept contre Thèbes ? Et Sophocle qui a composé Antigone ??? Bien sûr, vous avez raison. Mais il semble aujourd'hui établi que ce n'est pas Eschyle qui a écrit la fin des Sept contre Thèbes, mais une main anonyme, afin que la tragédie annonce la confrontation de Créon et Antigone. Nous ajouterons en passant qu'Euripide lui-même avait également composé une tragédie sur Antigone, ce dont nous nous fichons royalement ici, vu que la pièce est perdue. Ce qui importe, c'est qu'encore de nos jours, on se demande à quel point Antigone n'est pas un personnage créé presque de toutes pièces par Sophocle, étant donné qu'il est impossible de trouver quelque source que ce soit de cette pièce.


On va en profiter pour se remettre vite fait dans le contexte - que je connais peu, pour tout dire. Toujours est-il qu'en -441, date de composition d'Antigone, les débats allaient bon train en Grèce sur la législation, l'opposition entre les lois humaines, sociales, et les lois dites "naturelles", c'est-à-dire de nature religieuse. Eschyle prenait parti pour les lois religieuses, quand Euripide se fichait éperdument de celles-ci. Quant à Sophocle, il a toujours été en retrait de tels débats : là ne réside pas son intérêt, là n'est pas son propos. Et ici, c'est Antigone, la jeune fille déterminée à atteindre son but coûte que coûte, qui l'intéresse. On sait d'ailleurs que les dieux, chez Sophocle, sont des entités inatteignables, dont les lois sont incompréhensibles, dont les desseins ne peuvent pas être appréhendés par les humains. Il est donc bien plus intéressant pour lui de se consacrer au destin individuel d'un personnage, qui luttera jusqu'au bout, même si Sophocle est évidemment conscient des questionnements liés à l'époque et au respect des lois.


J'évoquais Les Sept contre Thèbes, je résume l'intrigue au minimum pour ceux qui ne l'auraient pas en tête. Après la mort d'Œdipe, ses fils, Écléon et Polynice, se partagent le pouvoir à tour de rôle pour gouverner Thèbes. Jusqu'au jour où Écléon décide de garder le pouvoir. Révolte de Polynice qui, avec d'autres chefs militaires, va essayer de renverser Écléon et de monter sur le trône. Les deux frères s'entre-tueront, mais seul Écléon aura droit à des funérailles, Polynice étant jugé comme traître à sa patrie par Créon, le nouveau souverain. C'est là que se termine la tragédie d'Eschyle (avec quelques petits ajouts, comme on l'a vu précédemment), et que peut commencer la tragédie d'Antigone.

Antigone, fille d'Œdipe et de Jocaste, décide donc, en dépit de l'édit de Créon, de préparer des funérailles pour son frère Polynice, dont le corps est exposé aux yeux de tous et voué à être dévoré par les bêtes. Il n'existe aucun dilemme chez Antigone : pour elle, les lois religieuses sont sacrées et outrepassent les lois de la cité, son frère mérite d'être enterré et peu lui importe la punition encourue. Elle sait depuis le départ qu'on va la condamner à mort pour sa désobéissance, mais non contente d'assumer son destin, elle le choisit en pleine connaissance de cause. C'est un personnage qu'on pourrait qualifier de nos jours de psycho-rigide, et même d'obsessionnel, tellement elle est fermée à toute discussion. Elle va même plus loin que ça : quand sa sœur Ismène préfère se conformer à l'édit du souverain, elle la renie presque. Antigone semble n'éprouver d'amour pour personne : sa sœur et son fiancé ne lui importent pas ; jamais elle ne prononcera le prénom de son fiancé Hémon, jamais elle ne souciera des conséquences que ses actes pourront provoquer - il faut bien se mettre en tête qu'elle a mis en danger Ismène en lui dévoilant son plan, et que celle-ci n'échappe que de très peu à la condamnation à mort pour complicité. Si elle invoque sans cesse les morts (Œdipe, Jocaste, Polynice, mais non Étéocle) et son désir de les rejoindre dans la tombe, c'est moins par amour (comme si ce sentiment lui était étranger et qu'elle était atteinte de psychopathie) que par le sens du devoir dont elle est certaine qu'il lui incombe ; mais aussi parce qu'elle ressemble à une ombre, plus proche des morts que des vivants.


Créon est l'opposé d'Antigone, son ennemi et l'antagoniste sans lequel elle n'aurait pas de raison d'être et d'agir. Malgré ses beaux discours du début, on constate vite qu'il est assoiffé de pouvoir, peu soucieux du bien du peuple, insensible même aux prières de son fils Hémon. Mieux, il envisage de faire mourir Antigone sous les yeux de celui-ci. Si Antigone est une psychopathe, lui a tout du sociopathe. Ismène, Hémon, jouent les rôles habituels des médiateurs, sans succès. le coryphée, étonnamment, au lieu de tempérer les disputes à l'aide du chœur, ne sait à qui se vouer et adopte sans vergogne le point de vue du dernier qui a pris la parole. Quant au chœur, il n'intervient pas directement, c'est à peine même s'il relate le contexte. Son rôle semble plus du côté de la mélopée, du spectacle, que de la participation à l'intrigue - mais peut-être est-ce dû à la traduction que j'ai lue, qui rend en tout cas aussi bien que possible l'ambiance d'une pièce de théâtre grecque antique sur scène.


Difficile de trouver personnage plus rigide, plus déterminé, plus maîtresse de son destin que cette jeune fille issue d'une famille harcelée par les dieux, mais qui jamais ne déviera du chemin qu'elle s'est tracé.
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