Citations sur L'île aux fous (40)
C'était en vain. Je n'arrivais pas à ressentir la détente bienfaisante qui suit, d'habitude, un grand péril conjuré. L'angoisse survivait au cauchemar. Contracté, les yeux clos pour mieux concentrer mes forces, de toute la volonté, je tâchais d'épuiser cette angoisse superflue, cette panique instinctive d'animal qui a flairé, en passant près de l'abattoir, l'odeur du sang.
Il les avait intéressés tant qu'il offrait le spectacle alléchant d'un homme acharné à se noyer ; ils essaient d'y penser, maintenant qu'ils ne pouvaient plus espérer s'amuser de ses grimaces d'asphyxie ou, s'il se ravisait à la dernière minute, lui maintenir la tête sous l'eau.
... dès que la phobie de l'évasion prend un gardien, rien ne suffirait à le rassurer.
"Au Quartier, il n'y a qu'une façon d'avoir raison. C'est d'en sortir."
Les gardiens ne se rendaient pas compte qu'en leur répétant sans trêve qu'ils avaient à surveiller des hommes réputés particulièrement dangereux, capables à chaque instant, de les attaquer ou de les tuer, on voulait surtout frapper leur esprit et ls tenir en alerte ; sinon, au bout de quelques journées sans incidents, ils eussent abandonnés naïvement leurs clefs sur un coin de table pour faire une partie de cartes avec leurs captifs. En tous cas, à force de les mettre sur une perpétuelle défensive, on finissait par les rendre agressifs. Ils se jugeaient en état permanent de légitime défense. Chaque coup de poing donné sans raison à un interné n'était-il pas, dans leur pensée, préventif d'une agression imminente ? on eût bien étonné nos infirmiers si on leur avait expliqué qu'ils commettaient chaque fois un abus.
"Si on me dit que j'ai perdu la raison, combien de temps me faudra-t-il attendre, puisqu'on ne me soigne pas, pour apprendre que j'ai perdu ma folie ?"
Il est un degré d'écoeurement où le soleil le plus radieux vous devient un lumignon dérisoire.
J'ai découvert ainsi, dans mes gardiens du Quartier III, une nouvelle espèce humaine. La comprendre a exigé un long déchiffrement et je ne suis pas très sûr d'avoir réussi, car amour de ces êtres, comme autour des fous, rien n'avait sa forme authentique : de même que, pour le "reflet d'en dessous", ce qu'ils voyaient était toujours autre chose que ce qu'ils avaient sous les yeux et qu'auraient perçu ceux qui n'étaient ni gardiens ni fous.
... ma compassion restait théorique. Dès que je me retrouvais dans cette fosse qui sentait l'humidité pourrie et la défaite, devant les querelles, les injures, les visages imbéciles ou haineux, ma pitié était aussitôt barrée par l'horreur.
Mais, attention ! Devant le médecin-chef ou les infirmiers, pas de blague ! Quand vous aurez envie de prendre l'air, annoncez : "Je vais dans la "cour", ou, mieux : "Je vais dehors." "La cour", ça fait encore un peu prison, tandis que "dehors" n'est pas trop suspect d'être mal interprété. Chacun sait que "dehors", au Quartier, ça veut toujours dire "dedans", mais cet euphémisme fait plaisir à tout le monde. Au fond, le médecin-chef a de la veine. pour des aliénés "difficiles", nous sommes plutôt conciliants."