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Critique de Agaberte


L'Angoisse du Héron de Gaétan Soucy se décompose en trois parties : la description des tribulations de l'Acteur et du Cabotin, la mort de l'ami du narrateur, et la découverte par le narrateur du texte initial faisant mention de l'Acteur, écrit de la main de l'ami décédé. A cela s'ajoute l'analyse d'Alberto Manguel.
Le récit commence de manière surprenante. le narrateur présente une personne, l'Acteur (qui n'est pas un simple acteur mais mérite sa majuscule, nous le comprenons plus tard) comme si nous savions déjà tout à son sujet, avant de nous informer de manière inattendue et percutante qu'il est un meurtrier et un fou, enfermé à jamais dans un asile. L'ironie et l'humour truculent de Soucy esquissent un paysage et une ambiance détonants. Mais l'affaire ne s'arrête pas ainsi. Cet Acteur, à la posture avachie et immobile, dans « une chute figé dans son amorce », se transforme soudain en Héron, raide et tout aussi immobile sur une jambe, tenant cette position comme si sa vie en dépendait. Et elle semble en dépendre, comme la vie du Cabotin dépend de ses allers et venues de la chaise au mur et du mur à la chaise. On l'aura compris, le dépaysement est assuré dans la description de cette scène d'asile, mais nous conduit néanmoins à de nombreuses interrogations sur nous-mêmes et sur le monde.
Le récit ne s'arrête pourtant pas là. Bond en avant de treize ans. L'ami du narrateur vient de mourir, par suicide, pendaison. Passons le fait que ce soit une mode bien étrange actuellement que de vouloir se pendre. Cet ami, Coco, est donc décrit comme un looser total, qui n'a même pas réussi à épargner le spectacle de son corps pendu à ses amis, malgré toutes ses bonnes intentions. On sent ici la volonté de donner un sens à l'inexplicable, de refaire le chemin et de voir ce qu'on aurait pu faire pour éviter ça, pour secourir son ami. de nombreux textes ont la même démarche, mais celui-ci comme les autres montre la fatalité, l'impossibilité de changer les choses.
La troisième et dernière partie du texte de Gaétan Soucy nous apprend l'origine du premier texte, celui de l'Acteur. le narrateur passe, de manière quelque peu perturbante pour le lecteur, de la description d'une fillette sans main à qui il a étourdiment offert un cahier à dessin, à la réponse faite à une jeune femme, fille inconnue de Coco, qui souhaitait en apprendre plus sur son père. Deuil, coïncidence, rapports humains, connaissance de l'autre, ce qui est évoqué ici dépasse le simple récit fait d'un ami à un autre. L'enfer est pavé de bonnes intentions, et la vie est loin d'être aussi rose qu'on le souhaiterait naïvement, voilà ce que Gaétan Soucy tient à nous rappeler.
Les dernières pages de cet ouvrages sont laissées à Alberto Manguel, qui a intégré ce texte dans son « Cabinet de lecture », collection des éditions l'Escampette. Il y décrypte, à sa façon, le récit de l'auteur Québécois et fait une habile transition entre l'angoisse du Héron et celle de l'auteur et du lecteur. Magnifique analyse que je ne reprendrait pas mais vous invite à lire, dans laquelle il met en abîme le récit. « En littérature, les choses ne sont pas racontées parce qu'elles se produisent ; elles se produisent parce qu'elles sont racontées. » p. 61. Cette notion, on peut la retrouver dans des romans tels que Aerkaos de Jean-Michel Payet, ou Coeur d'Encre de Cornelia Funke, romans que je vous invite chaleureusement à lire si cette idée vous intéresse.
Ce texte, très court (il ne fait que 65 pages en incluant l'intervention de Manguel), est donc extrêmement dense et riche d'enseignements, de messages et de réflexions. Chaque partie pourrait tenir en plusieurs centaines de pages sans démériter, mais ils en ont fait un petit ouvrage percutant et donnant matière à réfléchir, même longtemps après avoir refermé le livre. La plume des deux écrivains est fluide et se laisse lire de manière envoûtante. Cela me rappelle le recueil de contes philosophiques de Jorge Buçay intitulé Je suis né aujourd'hui au levé du jour, que j'ai beaucoup apprécié. L'Angoisse du Héron a donc été une excellente découverte, et j'espère qu'il vous plaira autant qu'à moi.
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