Jane Austen écrit ce que nous ne voulons pas voir de nous-mêmes : la comédie de nos corps et les contradictions de nos cœurs. Elle sculpte la vanité, l'attente, la satisfaction, la gêne. Elle formule mieux que personne les regrets qui rongent, les joies qu'on n'attendait plus, les déchirement intimes, les malheureuses exigences de perfection, ce qu'on retient et ce qu'on cache.
L'auteure parle ici de son aversion pour le sort de tant de jeunes filles apparemment nées et conditionnées pour le marché du mariage, dissuadées de toute initiative par des adultes dominateurs qui les retiennent virtuellement prisonnières au sein de leur propre famille.
Aujourd'hui, la fiction littéraire est si populaire qu'il est difficile d'imaginer une époque où les gens étaient embarrassés d'avouer être des "lecteurs de romans", mais du temps de Jane Austen, cette lecture est tenue pour frivole et même franchement dangereuse.
Orgueil et Préjugés se déclinent en chatons, en poupées en crochet et en cochons d'Inde vêtus de bonnets et de dentelles.
Une fois que l'on prend conscience que la vie de Jane Austen a commencé dans l'une des périodes les plus turbulentes de l'histoire du monde - elle avait six mois quand la guerre d'indépendance américaine éclata, treize ans à la prise de la Bastille; les conflits entre l'Angleterre et la France persistèrent presque sans interruption tout au long de sa vie d'adulte, et elle est morte moins de deux ans après la bataille de Waterloo - l'absence d'allusion à tous ces évènements ne peut manquer de surprendre. Elle était romancière en période de guerre et pourtant, son écriture évoque des mondes où l'essentiel de l'action se joue sur le parquet d'une salle de bal, dans un salon ou au milieu d'un parc.
Les romans de Janes Austen sont de ceux-là. Sur la carte de mes souvenirs, ils occupent à eux seuls un continent, à l'époque où la littérature se résumait encore, pour l'adolescente que j'étais, à quelques auteurs farouchement élus: Tolstoï, parce qu'il avait écrit quelque part que les femmes tenaient entre leurs main le salut du monde; Stephen King, car j'étais persuadée que le côtoyer, lui et ses monstres, me rendrait plus téméraire ; Emily Brontë, car elle nourrissait mon sens irrésistible du tragique - mourir d'amour, après tout, n'était-ce pas pour cela qu'il fallait vivre ? Et Jane Austen, donc qui outre sa capacité à me faire rire en toutes circonstances, m'apprit qu'on pouvait l'éprouver, l'amour, sans y laisser sa peau, à condition de ne pas oublier qui l'on est.
"À l'âge de douze ans seulement, Jane Austen est consciente qu'il n'existe que deux issues pour une jeune femme: le mariage ou la réclusion mélancolique." p.52
A seize ans, Jane Austen est attentive non seulement à la manière dont fonctionne le récit de fiction, mais aussi aux péripéties moins faciles à appréhender que traversent les hommes et les femmes dans la vie réelle.
Les oeuvres de jeunesse de Jane Austen montrent une écrivaine qui se révèle et une lectrice désireuse de maîtriser tous les styles qu'elle découvre.
Contrairement à tant de ses contemporains, elle évite toutefois cette représentation conventionnelle de l'innocence bafouée, sachant que son histoire gagnera en crédibilité si ses personnages et leurs bonnes ou mauvaises fortunes sont plus nuancés, leurs afflictions plus conformes à l'expérience réelle de ses lecteurs.