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Critique de SophieChalandre


Cet essai de l'Allemagne de Madame de Staël, aussi politique que culturel, s'adresse à sa classe sociale. C'est pourquoi Heinrich Heine, dans son brillant contre-essai critique du même nom, nommait Madame de Staël « la grand-mère des doctrinaires ».
La grande bourgeoise Louise Necker, titrée par son mariage avec le protestant baron suédois de Staël-Holstein, fille unique d'une des plus grandes fortunes d'Europe, à l'éducation parfaite et complète, fut une militante très active des intérêts de la haute bourgeoisie post révolutionnaire, mêlant adroitement amour et ambition puisqu'elle pesait financièrement très lourd.
Très libérale et anglophile, Madame de Staël, dont l'oeuvre littéraire marquera le romantisme à la française, est passionnée par la Révolution de 1789, rêvant pour la France d'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise, prônant un gouvernement peuplé de hauts esprits, si possible des proches ou amis et qui font salon chez elle. Ses ambitions de pouvoir seront déçues.

Cette hystérique maladivement possessive et fort cultivée, progressiste et atteinte de logorrhée verbale, s'est rendue dans l'Allemagne de Goethe pour dire combien il est important de s'inspirer d'un peuple et d'une culture si remarquables. Dans une écriture fort jolie (« sa pyrotechnie sentimentale » disait Heinrich Heine), Madame de Staël oeuvre dans cet essai très didactique terminé en 1810 à la promotion d'une Allemagne protestante débonnaire et idéalisée qui est le « lieu des pensées nouvelles et des sentiments profonds », décrivant une terre et une culture dont elle n'a rencontré aucun habitant (elle voit le peuple allemand depuis sa calèche) en logeant chez le poète Schiller qui ne s'en remettra pas. 25 ans après, Heinrich Heine nommera cet essai « un instrument de la coterie romantique » ou Staël a fait salon mais n'a rien vu de l'Allemagne.
Critique implicite de la politique napoléonienne qui a corseté selon elle la production littéraire et intellectuelle, elle souhaite par ce travail, et c'est courageux de sa part tant sa position est singulière, que les français (pas le peuple, mais ceux qui ont un pouvoir) cessent leurs préjugés anti allemands.
Madame de Staël est généreuse, elle voudrait que tout le monde soit riche sans qu'on touche à sa fortune et ses biens ; son essai de l'Allemagne relève de la même cohérence intellectuelle et politique. Aucune transgression esthétique dans son exposé de la littérature, du théâtre et de la philosophie allemande : c'est d'un conformisme confondant et ses commentaires tendancieux, n'hésitant pas à privilégier certains et en omettre d'autres qui ne serviraient pas ses intérêts idéologiques (pour rédiger sa présentation de Kant, elle s'est fait expliquer sa philosophie en recevant Fichte un quart d'heure, d'où le résultat assez indigent).
Heinrich Heine l'a parfaitement analysé en rédigeant son contre essai, considérant qu'il était de son « devoir de contredire le magnifique commérage du génie cotillon de Madame de Staël » en expliquant la philosophie et la religion de son pays sur lesquelles elle « a répandu pour sa part tant d'erreurs en France ».

S'il y a un intellectuel qui a oeuvré au rapprochement de la culture allemande et française, c'est Heinrich Heine (qui écrivait à propos de l'essai De Staël : "Son livre, de l'Allemagne, ressemble sous ce rapport à la Germanie de Tacite, qui peut-être aussi, en écrivant son apologie des Allemands, a voulu faire la satire indirecte de ses compatriotes"). le travail d'Heine, ses écrits, sa lucidité, sa pertinence et son talent intellectuel sont d'un niveau tout autre. Près de 40 ans après l'essai de la précieuse Madame, son prophétique poème "Allemagne, un conte d'hiver" a parfaitement cerné les futures catastrophes que Madame n'a ni vues ni analysées dans les salons romantiques qu'elle a fréquentés où les prémices de la construction d'une identité allemande étaient pourtant présents, nés dans une résistance à la domination napoléonienne : "une Allemagne gangrénée par les braillements de ces pharisiens de la nationalité" prophétisera Heine.
Je terminerai par les propos de Schiller, s'adressant à Goethe après le départ d'Allemagne de cette pipelette surexcitée de Madame de Staël qui avait logé chez lui : « Depuis le départ de notre amie, il me semble que je relève d'une grave maladie ».
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