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Critique de gabb


Cette fois c'est décidé : quand je serai grand je serai Jon Kalman Stefansson.
Je prendrai un stylo, une grande inspiration, et j'écrirai des poèmes.
Des poèmes géants, déguisés en roman, avec des titres farfelus genre "D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds".

Car ne nous y trompons pas : quoi qu'en dise la mention "roman" inscrite par un plaisantin sur la couverture, ce livre c'est tout autre chose.
Plutôt un poème en prose, polyphonique, qui court sur 500 pages et s'éparpille sur trois générations, un poème comme un océan d'images puissantes qui secouent l'âme et où surnagent quelques mots barbares en islandais, un poème qui ne dit pas son nom mais un poème quand même.
Un beau poème, qui plus est !

Le genre de livre inclassable, qu'on ne peut s'empêcher d'annoter à chaque page mais qu'on serait bien en peine de résumer.
On pourrait dire qu'il y est question d'un homme et de ses souvenirs, de sa famille et de ses amours déçus, de l'Islande avant tout et de ses trois points cardinaux (le vent, la mer et l'éternité !) mais ce serait tellement réducteur que je préfère écourter le pitch.
Attardons-nous plutôt sur la plume envoûtante de Jon Kalman Stefansson. Penchons-nous sur ses phrases à rallonge et pourtant si légères, sur ces virgules à foison, des virgules comme s'il en pleuvait, qui marquent la cadence, irrégulières et saccadées comme l'électrocardiogramme d'un coeur fatigué, ou ému, ou exalté. Et l'on est tout ça à la fois (et bien d'autres choses encore !), quand on lit Stefansson.
Ses histoires enchevêtrées nous font voyager entre les lieux et les époques, le long des côtes déchiquetées et jusqu'au coeur glacé de cette île hors du monde qu'il décrit comme personne, une terre âpre, "à peine habitable les mauvaises années", une terre de solitude ("c'est à croire que la solitude est fabriquée ici même, qu'elle sort de la terre avec toutes vos satanées éruptions et qu'ensuite elle va se déverser sur le monde").

Alors c'est vrai, en refermant l'ouvrage, on ne sait plus trop quelle(s) histoire(s) l'auteur a voulu conter. Son héros Ari, expatrié à Copenhague mais récemment de retour en son Islande natale, ne peut pas faire un geste sans réveiller mille souvenirs enfouis, et les allers-retours temporels entre Keflavík et Norðurfjörður (à vos souhaits !), entrecoupés de digressions nombreuses et parfois surprenantes, finiront peut-être par fatiguer certains lecteurs... Un pas en avant, trois pas en arrière : l'action progresse lentement (mes pauses régulières pour relire et savourer tel passage, pour recopier telle phrase dans mon petit carnet de citations, y sont sans doute pour quelque chose...) Mais où est-il écrit que le rythme d'une bonne intrigue est nécessairement frénétique ?
Chez Stefansson on prend son temps, on rêve, on se transporte ailleurs sans pouvoir s'empêcher de chercher des parrallèles entre nos propres expériences et les vies qui nous sont racontées. N'est-ce pas le propre de la littérature ?

Après l'inoubliable Ásta, il s'agit là de ma deuxième incursion dans l'univers incroyablement poétique de Jon Kalman Stefansson.
Je sais déjà qu'il y en aura d'autres, et il me tarde de reprendre la mer avec lui, de poser à nouveau le pied sur ce monde "à l'arrière de toute chose", "cette étendue de terre créée en dernier par Dieu, à la toute dernière heure". Quel bonheur de parcourir ce monde où "les nuits sont parfois si tranquilles que les fjords se peuplent d'anges et que l'air s'emplit du bruissement de leurs ailes", quel bonheur d'arpenter ce monde où les chutes de reins des plus jolies filles "abolissent tous les axiomes et mettent en péril l'ensemble de théorèmes mathématiques", ce monde où les marins se jettent à l'eau pour rejoindre la lune à la nage et où les points cardinaux sont au nombre de trois !
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