Moi-même, j'éprouvais les pires difficultés à bien réaliser la situation, à vraiment coller à la réalité. Je cherchais à refouler un sentiment d'étrangeté, comme si tout ce qui m'entourait n'était que toc, décor pompeux, aménagement factice, assemblage délirant d'éléments disparates. Car quoi ! Comment croire en un samouraï installé dans une villa romaine au fin fond du désert d'une planète interdite ? Derrière le crâne à moitié rasé, au-dessus du chignon huileux, se creusait la perspective trop soignée, trop régulière d'une multitude de colonnes ioniennes, entre lesquelles jouaient lumière dorée et plantes verdoyantes.
J'étais tellement absorbé par ce que contenait mon assiette, concentré sur ce qui descendait délicieusement dans mon ventre, que je dus me sermonner afin de prêter attention au rapport de Lobsang.
- Le commerce va donc péricliter rapidement et Koutcha risque de connaître une grave période de crise. A moins qu'elle ne possède une armée assez puissante pour protéger les caravanes.
- Les habitants de Koutcha ignorent la conscription, se sont toujours moqués des armes et de la stratégie militaire pour n'avoir jamais su ce qu'était la guerre. Si le mot 'guerre' existe encore, il a perdu toute signification précise, ne désignant plus qu'une farce très ancienne, un mythe cruel et mystérieux.
Je travaillais avec ardeur dans un carré de fraisiers, lorsque Joe le robot surgit inopinément.
- Bip ! grinça-t-il de sa voix métallique et asexuée. L'ambassadeur général du Cercle Callimaque, Son Excellence Gontran de Croix-de-Vie, désire s'entretenir incontinent avec l'instigateur Peyr de la Fièretaillade. Bip !
- Et merde ! me dis-je in petto. Pas moyen de jardiner tranquillement.