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Critique de 4bis


Je n'avais pas dit mon dernier mot ! Déçue par Emancipation : luttes minoritaires, luttes universelles ? j'ai persévéré et commandé à ma libraire préférée cet Universalisme par Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang chez Anamosa. La collection se propose de « s'emparer d'un mot dévoyé par la langue au pouvoir, de l'arracher à l'idéologie qu'il sert et à la soumission qu'il commande pour le rendre à ce qu'il veut dire. » Michel (Foucault) je sais que tu n'es pas loin de ces lignes et que tu souris de contentement. Et moi donc !
Pour des raisons personnelles, j'ai trouvé il y a quelques années sur ma route Léopold Sédar Senghor, son itinéraire politique, ses oeuvres, sa place d'homme d'Etat, d'académicien et de lettré. Sa civilisation de l'universel. Et depuis, je me bats avec cette notion pour essayer de démêler ce qu'elle a de porteur des dangers de certaines de ses acceptions.
Par les temps qui courent, il est facile d'exacerber les postures au point de ne laisser aucune complexité à des notions et de les opposer gaillardement afin d'alimenter la polémique. D'un côté l'universalisme républicain qui déclare l'homme « sans étiquette » afin de mieux protéger l'égalité entre tous. de l'autre, des hommes et des femmes qui refusent que soit niés une histoire, une différence de traitement de fait, le scandale d'une république qui exclut. le risque fustigé : que cette demande de reconnaissance soit le terreau d'un particularisme défaisant l'unité républicaine.
Evidemment, vu comme ça, on a peu de chances de s'en sortir. C'est que, pour Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, nous ne sommes sortis de la décolonisation que pour entrer dans une colonialité. Dans un régime qui impose le silence et le déni sur tout le colonialisme et demande à tous de s'intégrer en faisant fi du passé. C'est en se taisant qu'on oubliera. C'est dans ce silence que se forgera le creuset égalitaire. Et c'est faire montre de dolorisme victimaire ou de sentiment antidémocratique que de voir les choses autrement. Je retrouve la réflexion déployé dans le remarquable Ci-gît l'amer de Cynthia Fleury.
Incroyable comme ce mécanisme résonne avec celui développé dans les groupes où l'incestuel règne. Logique de domination par le langage, par l'imposition de ce qui peut être dit, pensé, montré et de ce qui ne peut exister et dont on ne parle donc pas.
Fort de ce principe, l'universalisme ne peut être que celui de l'homme blanc, la domination condescendante et ethnocentrée d'une Europe elle-même coupée de ses douleurs et de ses origines métissées. Ce petit livre le montre admirablement. L'analyse est fine, elle revient sur l'assaut du Capitol par les partisans de Trump, sur les discours de nos hommes politiques, la mise à distance prudente qu'ils font des revendications noires, les cantonnant à de nécessaires luttes américaines, loin de notre France, terre des droits de l'homme, forcément exempte de ce type de problématiques. Elle montre tous les impensés derrière le mot « universel » et met en avant ce qu'il faudrait y voir pour que la notion soit opérationnelle. Un universel qui prenne en considération cet espace-temps où nous sommes tous les produits des colonisations successives, en tant que colons, en tant que colonisés, et où le décentrement du regard vers la possibilité d'un autre point de vue coexistant avec le nôtre est la seule manière de faire.
C'est vif, c'est intelligent, c'est percutant, éclairant. C'est court aussi. Une fulgurance qui fait du bien et qui remet les idées en place.
Je ne sais pas encore ce que cet éclairage fait à l'universalisme de Senghor, où placer exactement sa vision mais nul doute que mon regard est déjà décrassé de bien des scories. Suite au prochain épisode !
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