Citations sur Jack Sparrow : Manifeste pour une linguistique pirate (3)
Ce n'était pas un hasard s'il n'obtenait jamais ce qu'il voulait, si toutes ses quêtes restaient sans résultat tangible; l'essentiel, dans les aventures qu'il traversait, était combien ce qui échappait à sa volonté nourrissait son désir. Sa volonté était de devenir immortel, tandis que son désir était de devenir une légende: en tant que telle, cette volonté ne pouvait qu'échouer, tant qu'elle ne s'abandonnait pas au mouvement du désir qui la faisait mentir. A quoi bon devenir le capitaine du Hollandais Volant ou boire à la Fontaine de Jouvence? Après tout, si c'était possible, la légende prendrait fin _ et, avec elle, la vérité de la vie de Sparrow, de ses discours comme de ses actions. Il fallait abandonner tout cela pour pouvoir être, c'est-à-dire pour pouvoir être embarqué dans la légende d'un désir qui ne pouvait se dire que par l’esbroufe, la fanfaronnade, le bluff, ou la drague, de préférence lourdement imbibée. Il fallait abandonner la terre et la volonté, l'ordre et la signification, la mesure et la fiabilité, et se laisser aller aux délices de l'indicible, du vague, du flou, du fumeux _ car du brouillard seul pouvait naître un peu de clarté.
Lorqu'ils faisaient mine de se plier au "code", Sparrow ou Barbossa semblaient attester de leur conformation à la conception du langage que dénonçait Agamben: celle rendant possible une parole fiable. Pourtant, la distinction entre "règle" et "guide" aurait déjà dû naître un soupçon; il était possible que la fiabilité dont il était question ne fût que très relative, et que ce fût cette relativité même qui en constituât la dimension centrale. C'était surtout vrai dans le cas de Sparrow, qui mentait comme un arracheur de dents, ne tenait pour ainsi dire jamais sa parole (surtout lorsqu'il la tenait) et embobinait tout le monde sans jamais cesse de se considérer comme un pirate. Son respect flou à l'égard du "code" constituait le critère improbable à l'aune duquel juger de son rapport au langage en général, et donc à la manière dont la piraterie en interprétait la dimension juridique _ ou, plutôt, la dimension légale.
Prétextant serrer la main de Sparrow, il lui souleva soudain la manche, révélant la cicatrice d'une brûlure au fer rouge épelant le "P" de "pirate", ainsi que le tatouage d'un petit moineau (sparrow en anglais).
_ Tiens donc... Jack Sparrow, n'est-ce pas? demanda le commodore.
_ Capitaine Jack Sparrow, s'il vous plaît Monsieur, répondit le pirate.
_ Je ne vois pas votre bateau, capitaine.
_ Je suis sur le marché, pour ainsi dire.
Après qu'on lui eût apporté les effets de Sparrow, et qu'il les eût examinés, Norrington poursuivit:
_ Pas de balle supplémentaire, ni de poudre; une boussole qui n'indique pas le Nord; et (tirant le sabre de Sparrow de son étui) je m'attendais presque à ce qu'il soit fait de bois... Vous êtes, sans nul doute, le pire pirate dont j'aie entendu parler.
Ce à quoi, arborant le sourire satisfait de celui qui vient de recevoir un compliment, le capitaine rétorqua:
_ Mais vous avez entendu parler de moi...