Qu'en termes savants ces choses-là sont dites. Ardu, très ardu.
Laurent de Sutter déroule un fil difficile à démêler si vous n'y mettez pas du vôtre. C'est de la philosophie pure que j'aurais aimé voir illustrée de quelques exemples contemporains de danger réel ou imaginaire.
Une fois accoutumé aux contorsions de langage du philosophe, le lecteur entrevoit la clarté d'un raisonnement qui consiste à dire que le danger est inévitable, malgré toutes les tentatives du pouvoir de le circonscrire, de Rome à maintenant.
Qu'il y ait emprise sur un bien (dominus et dominium), sur des sujets (souveraineté), connaissance d'un risque (calcul de probabilité), ce pouvoir apparent, cette maîtrise supposée craquent sous l'inéluctabilité (la fatalité) de l'aléa, "le coup de dé, par lequel l'infini du possible fracture jusqu'au mieux défini". Que ce soit propriété, pouvoir politique ou savoir, toute emprise est en danger de sa perte.
La peur n'évite pas le danger, dit l'adage. Mais l'homme cherche à le circonscrire, notamment en créant le contrat d'assurance à la grande époque du commerce maritime.
Leibniz, en 1680, élargit le concept en proposant une assurance mutuelle, donnant réparation d'un dommage aux plus démunis. L'État-providence pointe le bout du nez, non plus fondé sur une loi divine ou une souveraineté auto-décrétée, mais sur l'auctoritas, désignant l'individu qui se trouve investi par la loi du pouvoir de décider du pouvoir d'agir sur les personnes et les choses.
Dès Machiavel, les gouvernants manipulent sentiments et émotions afin d'assurer leur domination, en convaincant le citoyen d'être le rempart contre le danger. La crainte plutôt que la sécurité. La crainte engendre l'angoisse, que
Lacan qualifie d'affect, avec un effet probable de brisure de ce qui est compact, ordonné.
Les références pleuvent, la brillance de la pensée pousse à réfléchir nous-même sur notre propension à domestiquer le risque, en donnant aux calculs de probabilité une importance démesurée (cancer, efficacité d'un vaccin, chance de gagner au jeu). Comme si nous cherchions à régir le futur.
L'éloge du danger donc, parce qu'il incarne tout ce qui rend la crainte ou l'angoisse, risible, dérisoire - ou, lorsqu'elle se transforme en flicage, sinistre.
En somme, le philosophe soutient l'hypothèse d'une pensée qui accepte l'ouverture de tout et la fermeture de rien, au lieu de persister à vouloir tout fermer pour éviter qu'une mauvaise porte, quelque part, ne puisse s'ouvrir.
Un peu l'éloge du risque, non ?