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Critique de Erik35


J'AI LA RATE QUI S'DILATE (ETC).

Vieil homme de soixante-dix années révolues, s'encroûtant en sa retraite relativement dorée, retiré des affaires depuis huit ans, notre narrateur, bien entendu triestin (NB : comme son créateur), est un insupportable hypocondriaque à la recherche d'un ersatz de vie éternelle. Vivant à côté, bien plus qu'aux côtés, de son épouse Augusta, pauvre femme préférant d'évidence ses animaux de compagnie à la compagnie de son mari et à ses besoins impérieux, ce dernier s'essaie à toutes les médications afin de préserver sa santé. Il a tout d'abord soucis de sa tension - la seule chose qui parvienne momentanément à le faire taire - contre laquelle il lutte sans relâche, mais à sa manière. Car l'homme passe nombre de compromis avec ce qui le dérange. Ainsi, après en avoir discuté avec son neveu Carlos, qui a fait sa médecine, s'entend-il conseiller de maigrir substantiellement, de faire de l'exercice et d'arrêter de fumer. Mais la cigarette est l'un de ces menus plaisirs contre lequel il est malaisé de lutter. Aussi pratique-t-il, un peu, l'exercice, beaucoup le régime mais pas du tout l'arrêt du tabac. Pire ! Il décide de lui-même que c'est grâce à l'herbe à Nicot qu'il parvient drastiquement à perdre du poids - le tabac étant un coupe-faim connu - et décide ainsi de lui-même que dans son cas précis, fumer est une bonne chose.

Pratiquant avec un art qui n'appartient qu'à lui l'auto-médication préventive, adoptant définitivement les théories d'Anhemann, l'inventeur de l'homéopathie, il décide tout aussi bien que le coeur n'est qu'un «organe secondaire» tandis que Mère Nature saurait préserver indéfiniment ceux dont la capacité reproductrice serait encore vive. Ainsi va-t-il s'astreindre - ce malheureux homme ! - à fréquenter des gourgandines aux noms très évocateurs. C'est ainsi qu'il rencontrera une "Amphore" avant de découvrir une jeune fille de seulement vingt-quatre années, de surcroît vendeuse de cigarettes - pour joindre l'utile à l'agréable ? - et répondant au prénom rien moins que programmatique de "Félicita". Pratiquant ainsi la sexualité comme on entre dans une pharmacie, tout en trouvant-là matière à déculpabiliser à l'égard de sa "régulière", notre vieil obsédé va rapidement prendre pour argent comptant (la belle n'hésite d'ailleurs pas à lui en demander tant et plus) cette fausse idylle et penser être sur le point de s'amouracher. À son âge... Hélas, ou tant mieux pour notre histoire et la morale bien particulière de celle-ci, notre débauché décati va se retrouver face à un second misérable vieux vicieux, par ailleurs de ses connaissances, dans la situation exactement identique à la sienne, c'est à dire refusant vainement d'admettre l'âge qui avance et la proximité incontournable de la mort prochaine. Notre narrateur va, malgré tout, entendre pour partie la leçon et décider de ne désormais plus s'en tenir qu'à sa petite faiblesse, sa paresse : la cigarette.

Quant à sa prétention intime à se prendre encore malgré tout pour ce qu'il n'est plus - un homme bien conservé, portant beau, donnant le change sur son âge et d'un abord engageant - celle-ci va en prendre un sérieux coup après qu'une vieille duègne lui aura asséné du "Vieux satyre", après qu'il eut regardé avec un peu trop d'insistance la jeunesse accompagnée par la mégère.

Indéniablement, on ne cesse de sourire à la lecture de ce petit chef d'oeuvre d'humour acide et noir. Car le portrait que dresse Aron Hector Schmitz, alias Italo Svevo dans ce court texte intitulé Ma paresse est aussi réjouissant qu'il est cynique, et si nous avons tous en mémoire tel ou tel vieillard refusant catégoriquement d'admettre qu'il vieillit, nul ne peut cependant s'empêcher que ce pourrait fort bien être soi-même, cette vieille ganache-là ! Gardons-nous, dès lors, de trop vite juger : seul le temps et une certaine sagesse permettront d'éviter les écueils aussi prétentieusement naïfs que dérisoire de ce "caractère", comme l'on aurait écrit du temps de la Bruyère, si bien portraituré par cet auteur italien dont on estime aujourd'hui qu'il fut à l'origine du renouveau des lettres italiennes modernes.

Reconnaissons au passage, le travail toujours si indispensable et original des éditions Allia, par l'entremise de l'excellente traduction de M. Thierry Gillyboeuf, dans cette petite collection aussi joliment construite que ridiculement peu onéreuse.
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