Six mois après la publication du premier tome de ce qui s'annonce être une série de romans policiers rétro, et dont le nom de l'auteure,
Maryla Szymiczkowa, cache en réalité un duo d'écrivains, Agullo Éditions nous propose le second tome des aventures de Zofia Turbotyńska, notre truculente femme de professeure au nom de poisson, au titre qui en dit très peu sur les thèmes abordés que l'on s'apprête à lire. Néanmoins, la métaphore est là et se rappelle au lecteur à travers le texte. Même protagoniste, même lieux, Cracovie, la Vistule, la colline du Wavel et son château, Kazimierz et son quartier juif, d'autres crimes, d'autres enjeux, un autre pan de l'histoire polonaise. Je crois que j'ai eu une petite préférence pour cette intrigue-là que pour la précédente, ce qui n'enlève rien à la qualité du premier titre.
Cette fois, tout s'embrase au coeur même du foyer de Zofia, puisque tout part de la disparition et de la mort de sa très jeune femme de chambre de dix-sept ans, Karolina Schulz : la jeune fille est retrouvée près du fleuve, le corps meurtri par les coups, souillé par une agression sexuelle. Zofia, qui a besoin d'autre chose que de penser aux menus hebdomadaires dont se délecte Ignacy son époux, va se lancer à corps perdu dans l'enquête pour lever le voile sur le mystère de la mort de sa servante, qui venait juste de quitter la maisonnée Turbotyński. Si les choses paraissent simples au début, tour à tour, chacun pense à un suicide puis à une mauvaise rencontre, la proximité de Karolina avec Franciszka l'autre servante de la maison va ouvrir le doute sur les circonstances de cette mort soudaine. Il n'en faut pas davantage que de concert avec sa cuisinière, Franciszka, qui va devenir sa complice le temps de l'enquête, la curieuse et extravagante Zofia Turbotyńska, tous les sens en branle, se décide à poursuivre plus avant le travail de la police cracovienne.
Dans les romans de Maryla Szymiczkowa, Cracovie dévoile ses pires côtés, ces quartiers d'où suinte la misère, exploitée à travers tripots et lupanars, mais aussi sous son meilleur jour, à travers la visite de l'Empereur d'Autriche-Hongrie. Et justement, Zofia se situe à la croisée de ces deux mondes, même si de par son statut elle est plus aisée chez les personnes de son rang, elle possède les us et coutumes. Pourtant, ce sont les bas-quartiers qu'elle va écumer, grimée quelquefois, afin de découvrir que la jeune femme de chambre se serait de décider à quitter son service pour se marier à l'ingénieur qui la courtisait depuis quelques semaines - dans l'ignorance la plus totale de Zofia - et partir avec lui pour les Etats-Unis. Les investigations, si elles sont quasiment bâclées par l'appareil judiciaire - qui se préoccupe d'une jeune femme pauvre, d'autant plus qu'elle fut servante - sont reprises par Zofia, et les rebondissements sont de mise. Car les apparences sont trompeuses, seule Zofia s'avère être assez acharnée au point d'en ouvrir grand les rideaux qui dissimulent un état de fait beaucoup moins glorieux.
Le couple Turbotinsky, bourgeois cracoviens, lui éminemment professeur, sont plutôt conservateurs et pas vraiment des ardents défenseurs des droits de la femme, bien au contraire. Zofia dit se complaire dans son rôle de femme de professeur, avec les activités qui sont les siennes, oeuvres de bienfaisance, concours, même si à l'évidence, il semblerait qu'une activité lui manque, puisqu'elle est attirée comme un aimant par ses enquêtes criminelles qui lui tombent pile sous le nez. La mort de Karolina va pourtant l'obliger à quitter ses souliers de femme de professeur pour mettre la question du traitement de la femme en plein devant ses yeux, lui faisant réaliser les extrémités dans lesquelles elles sont poussées afin de gagner leur pain. Et si sa position n'a pas fondamentalement changé, elle finit presque par s'investir personnellement dans les fléaux qu'elle découvre derrière ses rideaux impeccables, propres et repassées, et protecteurs : ici-bas, la vie des femmes ne vaut pas grand-chose, elle est monnayable, elle est remplaçable. Toutes, loin de là, n'ont pas la chance d'une Zofia bien née, beaucoup ne verront que la bassine où elle lave le linge souillé des autres pour unique perspective.
J'aime décidément ce contexte historique dont nous dispense les auteurs autour d'une Cracovie qui n'en a pas fini de nous dévoiler ses secrets : j'apprécie particulièrement les digressions sur l'état de la société cracovienne de l'époque, où comme un double allocutaire de Zofia, nous apprenons causes de la pauvreté des agriculteurs du terroir, où l'on apprend l'existence du réseau de traite des blanches qui n'a franchement rien à envier à nos proxénètes des réseaux mafieux actuels. Et plus, globalement, la situation de Cracovie au coeur à l'époque de l'autrichienne Galicie, dont on apprend qu'elle était la région la plus pauvre de l'Empire, notamment par une comparaison avec l'Angleterre. C'est une combinaison idéale entre histoire des territoires polonais et fiction, qui est, ici encore, très réussie.
Je suis très curieuse de connaître l'évolution de Zofia Turbotinskaya, qui à travers cette enquête, commence à avoir une conscience sociale plus aiguisée, même si Ignacy son époux reste un anti-socialiste convaincu et à vrai dire, à mes yeux, une sorte de pantin qui ignore tout des activités de sa femme. J'attends, avec impatience encore une fois, la suite des aventures de notre cracovienne préférée.
Lien :
https://tempsdelectureblog.w..