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Critique de jplegrand2015


La Rome antique me fascine depuis longtemps. A l'époque de son apogée, la Ville est le centre d'un monde appelé à de profondes mutations dans les siècles à venir. Comme l'écrit Lucien Febvre et à sa suite Marc Ferro, à l'apogée de l'Empire, « un lyonnais est à cet époque chez lui à Rome et en Belgique, à Carthage aussi, et s'il est sénateur, ce n'est pas un intrus dans les milieux cultivés d'Alep ou d'Antioche ; mais s'il passe le Rhin ou le Danube, il est perdu, il est chez les Barbares ».

Cette Rome, on en retrouve un étonnant témoignage dans les « Histoires » de Tacite magnifiquement traduites par Pierre Grimal. Dans cet ouvrage moins célèbre que ses Annales, l'historien romain nous dépeint les années de troubles qui suivent la mort de Néron en 68 après JC. Il nous prévient d'emblée en une formule qui pourrait tout aussi bien s'appliquer à notre époque : « J'aborde un ouvrage empli de malheurs, ensanglanté de batailles, déchiré de révoltes et au sein même de la paix, féroce. » L'ouvrage se poursuit sur le même ton, un sens de la formule et du récit, un art de peindre les caractères qui ne se retrouveront que bien plus tard, sans doute pas avant Saint-Simon.. Cette période chaotique, cette succession d'empereurs assassinés, ces séditions innombrables sont l'occasion, sous la plume de Tacite d'une plongée dans l'inconstance humaine, d'un regard lucide sur la versatilité des foules et leur inconséquence.

Le récit s'ouvre sur le court règne de Galba. Les légions de Germanie refusent de lui prêter serment. Pour prévenir les troubles, Galba adopte Pison pour lui succéder. L'homme est sans illusion : les éléments même semblent annoncer le désastre à venir. Tacite écrit : « le 4 avant les ides de janvier, le jour obscurci par des pluies violentes fut troublé plus qu'il n'est normal, par des coups de tonnerre, des éclairs et les menaces célestes. Ces phénomènes qui, autrefois, faisaient renvoyer les comices, n'empêchèrent pas Galba de se rendre au camp, car il ne tenait pas compte de ces choses, qu'il attribuait au hasard ; mais peut-être aussi parce que ce que le destin a en réserve, même si cela est annoncé, ne peut être évité ». Quelques jours plus tard, Galba est assassiné, victime de de la volonté criminelle de quelques-uns et de la lâcheté complice du plus grand nombre. Cette action abominable, nous dit Tacite, selon une formule elle aussi applicable à toutes les tyrannies, « fut osée par un petit nombre, souhaitée par un plus grand et soufferte par tous ».

Le meurtre de Galba ouvre une séquence de guerres civiles, de massacres : tout conspire au désastre tant il est dans la nature humaine de « suivre avec empressement ce qu'elle répugne à commencer ».

Les écrits de Tacite sont également intéressants en ce qu'ils révèlent un modèle moral pétri de stoïcisme. Sous sa plume, ce modèle a ceci de précieux qu'il cesse d'être purement mythique : il s'incarne. Ainsi le préteur Helvidius Priscus que Tacite admire : » Il suivit comme maîtres de sagesse les philosophes qui considèrent comme des biens seulement ceux qui relèvent du bien moral, et comme des maux, seulement ceux qui déshonorent, et ne regardent le pouvoir , l'illustration et tout ce qui est extérieur à l'âme ni comme des biens, ni comme des maux.(…) Il imita, surtout, dans la manière de vivre de son beau-père, son indépendance, accomplissant comme citoyen, comme mari, comme gendre, comme ami, sans défaillance toutes les obligations de la vie, dédaignant les richesses, obstiné pour le bien, ferme en face de ce que l'on redoute ».

Avec ce sens de la grandeur de l'homme qui porte en germe un humanisme qui ne se réalisera pleinement que bien plus tard, Tacite transcende cette époque pourtant fort cruelle et nous fait ressentir ce moment unique que Flaubert évoque dans une de ses lettres : « Les dieux n'étant plus et le Christ n'étant pas encore, il y a eu de Cicéron à Marc Aurèle un moment unique où l'homme seul a été ».
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