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Critique de jlvlivres


« Freshkills » est un petit livre, initialement paru au Québec (2015, Editions Varia, 111 p.), puis en France (2020, La Contre Allée, 141 p.). Sachant que les dimensions des deux ouvrages sont respectivement (19 x 12.7 x 1) et (19.1 x 13.6 x 1.4) et donc que l'édition française est plus volumineuse avec plus de pages, comment se fait-il que les équations qui illustrent l'« Axiome de l'insuffisance respiratoire » dans « peuplié » (2019, Lanskine, 136 p.). , de la même auteur et cartouche d'encre ne donnent pas la solution à ce problème d'indice de masse corporelle du livre qui m'obsède. (Entre parenthèse dans cette illustration, il y a un du3/dx en bas à droite qui n'est pas homogène, ce qui induit des erreurs en boucle dans les courbes plus haut à gauche, en particulier sur les minimaux locaux des 3 courbes en YX). Mais bon, passons Lucie Taieb est en lettres modernes, allemand et autrichien, à l'Université de Brest en plus). On lui excusera donc ces confusions entres alphabets latin et grec, et des traductions quelquefois fantaisistes de Google en bas breton.)

Pour en revenir à Freshkills, c'était une gigantesque décharge au sud de Manhattan, sur 890 hectares et une trentaine de mètres de haut. Ouverte en 1948, et fermée en 1997. Il a fallu la re-ouvrir pour y entreposer les débris des attentats du 11 septembre 2001 de ce qui était « Ground Zero ». Depuis, des milliers de fragments humains ont été récupérés, mais seules environ 300 personnes ont pu être formellement identifiées. A terme, le parc hébergera des installations sportives, des salles de spectacles et des sentiers de promenade. Sous terre, les déchets libèrent leur quantité de gaz divers, dont du méthane, le tout est récupéré et traité. Un premier ouvrage de Don DeLillo est paru en 1997 sur le sujet. « Underworld » traduit en français par Marianne Véron sous le titre « Outremonde » (1999, Actes Sud, 912 p.). le livre de Lucie Taieb est donc plus tardif.

Alors que faire de nos ordures, déchets et restes de catastrophes ? Tout commence à Berlin, dans un site sur « les dossiers de demandes d'indemnisation des descendants ou des proches parents de victimes juives de spoliation durant la Seconde Guerre mondiale ». Un vaste bric à brac de ce qui reste des biens spoliés, mais le régime allemand fait que tout est soigneusement étiqueté. A côté, aux « abords de la Postdamer Platz, je vois pour la première fois, sans savoir de quoi il s'agit, ce chantier qui m'intrigue, de la terre et des stèles ; il ne s'agit pas d'un cimetière, mais ce sont bien des stèles, sur un périmètre assez vaste, encore interdit au public ». Il s'agit de la construction d'un mémorial. « Cimetière sans morts, ces plaques sans noms, ce neuf, à partir de quoi ? ». Puis les années passent le mémorial est achevé. « Sur les stèles, des petits cailloux ». C'est la coutume, il n'y a qu'à visiter le vieux cimetière juif de Prague pour voir que la tradition se perpétue. Ce qui choque, c'est que les débris, y compris humains du 11 septembre, ont fini en décharge. Et les fosses communes de Katyń ou celles de la Kolyma, où même pas un registre fait état des disparus. Aux Etats Unis, que sont devenus les rescapés de Wounded Knee. Heureusement que William T Vollmann a écrit « The Dying Grass : A Novel of the Nez Perce War » dans sa grande anthologie des « Seven Dreams ». Les Sept Rêves qui ont fondé l'Amérique actuelle. La poursuite, après la défaite des indiens de Little Big Horn, à travers l'Oregon et tout le Montana entre Chef Joseph et le General Oliver Otis Howard. Ce dernier, vétéran de la guerre de Sécession, profondément chrétien, affligé et tourmenté. On le serait à moins. Des listes et des objets qui restent. Tout comme ces montagnes de chaussures ou de lunettes de Mauthausen ou d'Oswiecim.

Ces accumulations et la proximité de Staten Island avec Ellis Island au sud du Manhattan des touristes m'ont interpelé. Je n'ai pas voulu aller visiter, en voyeur, les restes de Ellis Island. Par contre j'ai visité les locaux de Halifax Pier 21, le Musée canadien de l'immigration. L'équivalent de Ellis Island. Un matin où une très grosse pluie s'est abattue sur la ville. Là aussi, il y avait des restes des bagages des émigrants, des différentes vagues d'émigrants, italiens du sud, juifs d'Autriche-Allemagne, français d'après-guerre, serbes et croates. Qui, avec une valise, ou une malle, qui sans rien que leur volonté de changer de vie. Avant la visite, il y avait un petit film. de propagande, il est vrai. Qui commençait par ces termes « Vous êtes sur un trottoir, on vous bouscule et vous demande pardon : Vous êtes au Canada ». Ce qui est globalement vrai. Puis des exemples de ces migrants qui sont arrivés avec leur peu de bagages, et qui exprimaient pourquoi ils venaient. Pour une vie meilleure, bien entendue, financière, libre, tolérante. Pour avoir, enfin, des droits. Mais ce qu'ils disaient aussi. En échange de « ces droits », ils acceptaient également « les devoirs ». Retour sur la séquence de début et les excuses sur le trottoir.

Retour à Freshkills et son sous-titre « Recycler la terre ». Reconstruire, recycler, conserver, mémorialiser. Que penser, alors, des déconstructions de bateaux sur les rivages du Pakistan ou de l'Inde. Gigantesques usines à ciel ouvert dans lesquelles les ouvriers découpent, trient et recyclent la ferraille, les câblages et les décors de tout ce qui se trouve dans un navire. Conditions de travail ou sanitaires déplorables ou inexistantes. Salaires en proportion. Et que dire des barges de déchets que l'on envoie traiter en Afrique. Traiter du sujet de façon poétique, certes, n'est-ce pas une façon, aseptisée de recycler la parole ou « dévoiler la vanité de la parole creuse ». Est-ce pour cela, c'est-à-dire destiné « à la relégation de ce qu'on ne veut pas voir ni prendre en considération » qu'il suffit de créer le mot « hétérotopies ». C'est un peu mettre la poussière sous le tapis.
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