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Critique de Tachan


Véritable OLNI éditorial, Icare est un projet franco-japonais comme il y en a peu, regroupant deux mastodontes de l'univers de la bande dessinée internationale : Jiro Taniguchi et Moebius, dans une oeuvre ambitieuse mais malheureusement inaboutie faute d'avoir trouvé son public mais également d'avoir  trouvé une cohésion artistique.

Avant de se lancer dans l'analyse et la présentation de l'oeuvre in-extenso, je trouve très intéressant d'évoquer son contexte de création, contexte présenté de manière assez biaisée en fin de tome avec une interview de Moebius, initiateur du projet. Je n'ai jamais lu d'oeuvre de ce grand nom de la bande dessinée mais ce qu'il ressort de la lecture de cette interview est un sentiment désagréable, celui d'un homme pédant et nombriliste qui a participé à faire capoter ce projet mais ne semble pas vouloir le reconnaître. Tout démarra bien avec une idée d'histoire riche et ambitieuse portée par celui-ci et son ami Jean Annestay qu'ils présentèrent à un éditeur japonais car ils avaient envie que ce soit dessiné et publié là-bas. Mais les auteurs, si on lit entre les lignes, n'ont pas compris l'essence même du manga ainsi que de la prépublication japonaise et ont proposé quelque chose d'inadapté que les Japonais ont essayé de retravailler ensuite avec le dessinateur choisi Jiro Taniguchi mais sans jamais vraiment y parvenir, ce qui a fait que le titre fut un bide là-bas et fut interrompu avant la fin... C'est bien triste. Pour ma part, la création d'une telle oeuvre, seul, de son côté, sans tenir compte des spécificités d'un marché qu'il connaît mal, me fait mal au coeur et m'interroge sur ce désir de publier Icare là-bas plutôt que chez nous...

Revenons à nos moutons, l'oeuvre. J'ai voulu lire Icare car j'aime aussi bien Taniguchi que la SF, même si c'est une association perturbante à mes yeux, car ce n'est pas pour moi un registre narratif où je vois l'auteur exceller, à part avec certains pans moins classiques et plutôt tranche de vie. Bref. La première chose qui m'a frappée à la lecture, outre le fait d'avoir le sentiment d'avoir une histoire qui va bien trop vite, qui ne sait pas trop où elle va et qui n'a rien de bien original, c'est ce dessin qui est du Taniguchi sans être du Taniguchi. Je n'ai pas retrouvé le grain habituel de l'auteur, sa sensibilité et son émotion, dans ce trait très lisse et encore plus occidental que d'habitude mais également plus froid et artificiel. Cela pourrait correspondre à une intention du dessinateur pour l'histoire mais ce fut un vrai frein pour moi, même si j'ai beaucoup aimé le design des scènes d'action quand le héros se met à voler avec une aérodynamisme donc une fluidité de dingue, ainsi que le design de tout le décor SF. Cependant, il faut reconnaître aussi qu'il y énormément d'emprunts à la vision d'Otomo (Akira) d'un monde futuriste, ce qui fait perdre toute originalité à l'oeuvre... Dommage.

L'histoire, elle, démarre de façon assez prenante dans un classique monde futuriste avec une firme qui tente de développer quelque chose avec ses expériences sur les êtres humains : hommes-bombes, hommes aux pouvoirs extrasensoriels, homme qui vole... On suit cette dernière expérience avec le jeune Icare, un bébé qui vient de naître en volant spontanément. On le retrouve des années plus tard, enfermé dans une immense cage artificielle, sorte de serre géante, dans laquelle il évolue et est testé au quotidien pour développer ses aptitudes hors du commun. Il ne connaît pas l'extérieur mais va développer des sentiments au contact d'un des personnes s'occupant de lui et va vouloir aller vers elle et sortir de là, ce qui va déclencher un vrai branle de combat. le récit sera alors celui de son évasion pour sortir jusqu'à peut-être brûler ses ailes !

J'ai eu l'impression de lire un amalgame d'idées de SF piochées à droite à gauche et maladroitement mises ensemble ici. Cela aurait pu être prometteur avec une histoire moins condensée, plus développée, mieux agencée. Il y a de l'idée mais cela manque de subtilité. Par exemple, la transformation du personnage d'Icare d'objet d'étude non incarné à jeune homme charnel avec des sentiments est fait avec de gros sabots virilistes hyper malaisants à l'heure actuelle, avec une chositisation du corps de la femme dérangeante et l'expression d'un homme et ses désirs très bas de plafond. C'est assez décevant... Et tout est un peu à l'aune de cela, ce qui fait que pour un titre où Taniguchi a travaillé, cela manque profondément d'émotion, de poésie, de sentiment.

Malgré toutes ces critiques, je ne peux nier que la lecture s'est bien passée. Je me suis facilement laissée entraîner par cette histoire d'expérience scientifique et de sujet échappant à son observateur. J'ai trouvé le pouvoir d'Icare simple mais fascinant. Il y a, de par son nom, une dimension mythologique qui me parle et que j'ai aimé voir couplé à la SF. Même si c'est classique, j'aime qu'on questionne sur nos expérimentations scientifiques et ce qu'on souhaite en faire, notamment dans le domaine de l'eugéniste. le fait d'avoir retrouvé des influences d'Otomo m'a séduite, car Akira est un titre fascinant pour moi et si on lui emprunte pour faire quelque chose d'aussi solide, cela ne peut que me plaire. Donc il y avait plein d'éléments positifs également parsemant ses pages, ce qui me frustre d'autant face à cet objet inachevé, regroupant tous les chapitres parus, mais ne proposant pas les idées émises pour la suite.

Rencontre ratée de deux génies qui n'ont pas su travailler à quatre mains pour vraiment produire une oeuvre de consort en apportant chacun sa spécificité, Icare est un produit final mal incarné, qui n'a pas su séduire, et on comprend très bien pourquoi, tant le projet manque de vision et d'incarnation, en dehors de ce héros emprunté ailleurs. Moebius est bien amer quand il évoque ce ratage, on le comprend, mais quand on est auteur il faut aussi savoir se remettre en question et chercher à comprendre pourquoi, ce qu'il ne fait pas et cette accusation que c'est la faute du lectorat me met particulièrement mal à l'aise, ne me fait pas apprécier l'homme, ni ne me donne envie de découvrir son oeuvre. C'est dommage, je lisais aussi ce volume pour cela... Mais la découverte s'arrêtera là.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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