Je ne sais pas ce qui est pire. Ne pas savoir ce qui s'est produit dans ta vie jusqu'à maintenant, ou savoir exactement tout ce qui t'arrivera jusqu'à ta mort.
Je ne savais pas qu'on pouvait survivre à un coup de foudre.
Une fois Kate partie, Calhoun parcourut sa cabane. Avant la nuit dernière il se sentait en sécurité chez lui. Il ne fermait jamais les portes à clé, ne se faisait jamais de souci quand il devait laisser Ralph.
C'était comme ça dans la région. Les gens braconnaient, trompaient leurs femmes, trichaient sur leurs feuilles d'impôts et conduisaient bourrés. De temps à autre, ils se tiraient dessus, très bien. Mais les habitants du Maine, bon Dieu, il respectaient la propriété privée ! Jamais personne ne s'était introduit chez lui.
Calhoun lui en dit plus qu’il ne l’escomptait : il lui raconta qu’il se construisait une cabane dans les bois, à la lisière de Dublin, à l’ouest de Portland, et qu’il était sorti de l’hôpital d’Arlington, en Virginie, trois mois plus tôt. Avec un bilan positif, si l’on exceptait son oreille droite, qui était restée sourde, et ces trous noirs qui seraient peut-être de courte durée, à ce qu’on lui disait, et aussi le fait qu’il ne supportait plus l’alcool parce que le métabolisme de son cerveau s’était modifié, mais ça, en somme, ça ne lui posait pas trop de problème.
Le shérif l'examinait comme s'il le voyait pour la première fois. Il ouvrit la bouche, puis secoua la tête.
- T'es une espèce d'âme fatale, Stoney.
- J'ai fait des trucs que je savais pas pouvoir faire, dit Calhoun. (P.333)
Simplifie, simplifie disait Thoreau. Calhoun avait laissé trop de complications envahir sa vie. Sans l'avoir voulu. S'il avait été plus fort rien de tout cela ne serait arrivé. (P.315)
Quelqu'un avait de sacrées obligations envers lui. Mais quand il avait cherché à en savoir plus, il n'avait pu obtenir de réponse à ses questions. Calhoun n'avait pas insisté. Il n'avait sans doute pas intérêt à raviver certains souvenirs. (P.29)
Calhoun regarda autour de lui l'étroite vallée d'où surgissait de part et d'autre une forêt de grands pins et de feuillus rabougris. Des carouges jasaient dans les roseaux qui bordaient l'étang et il vit au loin un grand héron bleu, figé comme une souche dans les hauts-fonds, la tête en arrière et le cou tendu comme un arc bandé. Tout là-haut, un couple de buses à queue rousse se laissait porter par les couloirs d'air. C'était un lieu paisible, comme Lyle les aimait. Pas le genre d'endroit où abattre un homme.
Stonewall Jackson Calhoun, après sa renaissance dans un hôpital pour vétérans d’Arlington, avait subi l’attrait du Maine, où un homme pouvait encore gagner les bois. Il avait bien l’intention de sucer la moelle de sa nouvelle existence.
- Voilà cinq ans, tu débarques chez nous. T'as du fric tant que t'en veux. Tu te cloîtres dans les bois comme si tu voulais fuir la race humaine pour le restant de ta vie. On raconte que tu as séjourné à l'hôpital, que tu te rappelles plus ce qui t'as amené ici. Tu es un homme sans passé, Stoney. Et ça fait réfléchir, tu comprends ?