Citations sur Le Fleuve caché,: Poésies 1938-1961. Accents. Le Témoin inv.. (34)
SUITE MINEURE
XII
Quand j'écoute et n'entends pas,
quand je regarde sans voir,
quand je marche sans un pas,
quand mon soleil devient noir,
je disparais sans mourir,
je vis sans un mouvement.
Nul espoir nul souvenir
dans les forges du moment.
Fondre ? Soit, mais pour renaître !
Finir pour recommencer !
Le monde est à reconnaître
sur les chemins effacés.
OMBRE
Frange d'invisible,
tremblant de secrets,
l'absent qui te prie
et qui t'a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour,
lié en silence
à toutes les feuilles,
à toutes les pierres
et à tous les temps,
n'est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t'es perdu ?
FEINTES NÉCESSAIRES
J'appuie et creuse en pensant au ombres,
je passe et rêve en pensant au roc :
Fidèle au bord des eaux volages
j'aime oublier sur un sol éternel.
Je suis changeant sous les fixes étoiles
mais sous les jours multiples je suis un.
Ce que je tiens me vient de la flamme,
ce qui me fuit se fait pierre et silence.
Je dors pour endormir le jour. Je veille
la nuit, comme un feu sous la cendre...
Ma différence est ma nécessité !
Qui que tu sois, terre ou ciel, je m'oppose,
car je pourchasse un ennemi rebelle
ruse pour ruse et feinte pour feinte !
Ô châtiments de tant de combats,
Ô seul abîme ouvert à ma prudence :
Vais-je mourir sans avoir tué l'Autre
qui règne et se tait dans ses profondeurs ?
HEURE DE PRÉSENCE
Nous cherchons au bord d'une eau louche
l'éclatement d'un soleil clandestin.
Les désirs assouvis sont jetés aux souches
çà et là sous le jour incertain.
Peut-être est ce un bureau ou une prairie
chargée de débris et de reliefs
ou encore un fauteuil couvert d'affreuses broderies ?
Quelqu'un siffle en tous cas
et l'autre lui répond.
Un mince rayon fruit du sol au plafond.
C'est le moment de rire et de casser la vie
à tout petits coups de talon.
CONVERSATION
(Sur le pas de la porte, avec bonhomie)
Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu, oui, merci bien.
Et les nuages ?
- Ça flotte.
Et les volcans ?
- Ça mijote.
Et les fleuves ?
- Ça s’écoule.
Et le temps ?
- Ça se déroule.
Et votre âme ?
- Elle est malade
Le printemps était trop vert
Elle a mangé trop de salade.
(Monsieur Monsieur – 1948-1950
Pour gagner les terribles faveurs de l'abîme
arbres nous monterons par le dedans jusqu'à nos fleurs.
Alors le vent, alors l'automne, alors
notre accomplissement sera
cette chute légère, heureuse, désolée.
(extrait de "Jours pétrifiés") p.81
Quand j'écoute et n'entends pas,
quand je regarde sans voir,
quand je marche sans un pas,
quand mon soleil devient noir,
je disparais sans mourir,
je vis sans un mouvement.
Nul espoir nul souvenir
dans les forges du moment.
Fondre ? Soit, mais pour renaître !
Finir pour recommencer !
Le monde est à reconnaître
sur les chemins effacés.
(extrait de "Suite mineure") p. 51
Quand j'écoute et n'entends pas,
quand je regarde sans voir,
quand je marche sans un pas, quand mon soleil devient noir,
je disparais sans mourir,
je vis sans mouvement.
Nul espoir nul souvenir
dans les forges du moment.
Fondre ? Soit, mais pour renaître !
Finir pour recommencer !
Le monde est à reconnaître
sur les chemins effacés.
Un rêve étonnant m'environne:
je marche en lâchant des oiseaux,
tout ce que je touche est en moi
et j'ai perdu toutes limites.
Vois le jour à travers les barreaux
nommés oeil, oreille, narine.
Ils te tiennent depuis l'enfance.
Ils sont ta sauvegarde
contre tout ce qui cogne aux parois
mais au-dedans, plus de frontières!
Vole, nage, marche au bras
des formes les plus grandes.
Passe au travers des murs de poudre.
A toi d'assiéger le monde!