AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Tempsdelecture


Première titre de la rentrée littéraire de la Croisée, avec Brandon Taylor un auteur américain qui a déjà fait ses preuves en 2020 avec la sortie de son première roman Real life, qui connaît en ce mois de janvier une publication en poche sous le label le livre de poche. Après Jakob Guanzon, à la même époque l'année dernière, et Arthur Nersesian en septembre, j'avais très envie de continuer ma découverte des auteurs américains actuels, issus de ce que j'appellerais, la littérature et des minorités ethniques et/ou sexuelles : c'est chose faite ici. le francophile Brandon Taylor nous propose de passer un semestre en Iowa au sein d'un campus universitaire, au sein d'une bande d'étudiants qui se consacrent chacun à leur art ou spécialité, à leurs amours, à penser et préparer leur avenir proche.

Ce roman se scinde en plusieurs parties. Chacune illustre le point de vue de l'un des protagonistes, une « symphonie de vie » à la manière de l'oeuvre d'Emile Zola, comme le dit lui-même Brandon Taylor. Mais, attention, il n'y a pas de diégèse à proprement parler, les focalisations narratives alternent sur quelques semaines précises le temps de nous donner un aperçu de cet endroit et de ce moment précis, les années 2010 entre quelques jeunes gens, certains riches, d'autres et la plupart d'entre eux qui peinent à finir les mois. Un récit synthétique, donc, plutôt que diégétique, la peinture d'une poignée de jeunes gens, issus de toutes les minorités ethniques qui composent la société américaine, et surtout des jeunes artistes, poète, danseur, musicien et peintre. Et surtout des histoires d'amour, des coups d'un soir, des aventures, qui s'entremêlent, qui suivent leur cours. Seamus, le poète, blanc, cynique qui travaille en cuisine, et qui fustige ses comparses féminines de cours de donner des sens improbables aux poèmes dont elles font l'exégèse. Ivan, le russe, sans un sou, le danseur qui réoriente sa vie dans la finance avec Goran, l'enfant adopté, noir, qui jouit des moyens de sa famille. Noah, le nippo-américain, Fatima et Fyodor, l'enfant abandonné du père russe, on s'en doutait bien et Timo, Daw, le mathématicien pur et dur, et Stafford, le peintre.

Des vies à la fois étonnamment banales, décrites avec toute l'usure et la poussière du quotidien bien installée, des vocations dans certains cas rangées aux oubliettes, dans d'autres cas, bien entamées, là où les individus ne sont toujours que dans la monotonie régulière, sans exceller, sans démériter. C'est parfois plus aventureux de décrire la banalité, la morosité du quotidien et son usante répétition que l'extraordinaire, Brandon Taylor y excelle, a y décrire le prosaïsme réaliste dans toute sa splendeur. Et le dénuement et la pauvreté qui a frappé cette classe moyenne dans cet état du Midwest américain, le coeur américain, comme dans tout le pays.

On est frappé tout d'abord par l'oeil critique de Seamus sur ce qu'il nomme l'imposture l'Art américain, s'incluant lui-même dans ce constat un brin nihiliste sur cet arbre aux alouettes. La langue de Brandon Taylor n'est pas en reste, et les quelques scènes de sexe cru et réalistes, et ne fignole pas dans cette fausseté superficielle que dénonce l'un de ses personnages. Il frappe à coeur, sans fausse candeur, sans feinte pudibonderie, mettant à nu le dénuement des scènes, où les doutes et l'incertitude estudiantins, les accidents de la vie, la crasse, les sécrétions corporelles tapissent chaque image que le texte de l'auteur américain implante dans notre esprit. Malgré tout, le chapitre sous l'oeil de Bea une voisine de Noah, extérieure au groupe, en même témoins de leurs déambulations, a un tout autre point de vue, de ce qui représente pour elle le bonheur ultime, l'amitié et la proximité même contrariée.

Si je parlais de Jakob Guanzon et Arthur Nersesian au début, c'est parce que cela m'a frappé de constater à quel point leur propos se rejoignent dans cette sorte de désillusion existentielle, d'individus coincés entre plusieurs vies, plusieurs choix, l'envie de regarder en arrière et l'impossibilité d'aller de l'avant : l'incapacité à renoncer totalement et à trouver, se trouver, retrouver des valeurs, là où le « travail et le capital » a envahi tout le reste. En outre, le titre est tiré d'une une réflexion de l'auteur, retranscrite ci-dessus, sur la situation de ces américains vivant dans ce que l'on nomme capitalisme tardif, concept qui désigne la période actuelle du capitalisme qui, en l'espèce, est considéré être en phase terminale de son existence. Ce concept est lié à la théorie littéraire du postmodernisme, se traduisant par des changements sociaux et économiques d'une ampleur telle qu'ils ancrent les individus dans une incertitude perpétuelle, et dans un chaos, sans ordre ni logique ne sont présents, d'où l'absence de toute logique narrative, finalement.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}