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Critique de HordeDuContrevent


Une chevauchée lente sur la mer verte…

Une mer d'un brun vert, vaste plaine sans limite, sertie de collines se fondant au lointain dans une teinte lilas puis une brume mauve. Tel est le cadre, et le personnage principal, de cette longue nouvelle de Tchekhov. Capturée en mille et une estampes sur lesquelles il est aisé d'imaginer chevaucher fougueusement ces cosaques qu'un certain Gogol a si bien mis en valeur dans Tarass Boulba.

La steppe montre à quel point la simplicité peut se parer de ses meilleurs atours. La steppe est en effet la simple histoire d'un voyage en calèche, celle d'un petit garçon de neuf ans, accompagné de son oncle et d'un pope, ayant pour but de l'amener dans une ville lointaine où il doit poursuivre ses études. le voyage part de Moscou pour aller à Taganrog et traverse ainsi la steppe russe et ukrainienne. Traveling lent au cours duquel Anton Tchekhov se fait naturaliste, nous offrant des observations à la beauté renversante de la flore et de la faune, et quelques arrêts sur image permettant de découvrir des personnages pittoresques, âme de la Russie. Et c'est tout. Il ne se passe rien d'autre. Mais cette simple histoire de la fin de l'enfance et du début d'une autre vie, la steppe faisant symbole de transition, m'a fait grande impression.

Ces paysages réveillent chez l'auteur des souvenirs d'enfance. Iegorouchka est sans doute Tchekhov enfant. Armé de son amour et de sa fierté pour son pays, comme l'ont fait également Tolstoï ou Tourgueniev par exemple, l'auteur nous offre de superbes tableaux de la steppe, des tableaux diurnes et nocturnes, des peintures du lever et du couchant, des estampes de chaleur méridienne et d'orages déchainés en pleine nuit. Au moyen d'étonnantes métaphores, l'auteur sait rendre ces tableaux vivants, comme si la steppe était animée de volonté, Tchekhov personnifie la nature et les éléments dans lesquels les humains et les animaux semblent n'être que des pantins voués à l'inéluctable.

« de grosses pelotes de fumée noire, épaisse, se formaient sous les toits de roseaux à ras de terre et s'élevaient paresseusement. le ciel au-dessus des fabriques et du cimetière était bistre ; les grandes ombres que projetaient les nuages de fumée rampaient dans le champ et traversaient le chemin. Dans la fumée, auprès des toits, bougeaient des hommes et des chevaux, couverts de poussière rouge… »

La steppe semble également refléter les états d'âme de ce petit garçon qui a été brutalement éloigné du giron maternel. Véritable cassure, douloureuse déchirure, le garçon sent que son enfance prend fin et éprouve une profonde tristesse tout en étant fasciné par la nature observée. Subtilement, à travers les descriptions de la nature, nous arrivons à ressentir par quels états il passe et quel sentiment de solitude il endure durant ces quelques jours et à éprouver peu à peu une vraie empathie pour lui.
« A peine le soleil est-il couché et la terre emmitouflée de ténèbres, que la langueur diurne est oubliée, tout est oubliée, et la steppe respire légèrement de sa vaste poitrine. Comme si, dans l'obscurité, l'herbe ne voyait pas sa vieillesse, elle devient le lieu d'un jeune et joyeux crépitement, inconnu dans la journée ; craquements, sifflements, grattements, basses, ténors et soprani de la steppe, tout se mêle en un grondement monotone, incessant, favorable aux souvenirs et à la mélancolie ».

Les personnages rencontrés par ailleurs sont particulièrement pittoresques. Durant les arrêts sur image, le naturaliste se ferait presque sociologue. Que ce soit l'oncle, homme d'affaires, le pope, la comtesse Draniska, le voyou Dymov, la famille juive dans sa pauvre isba, le cosaque croisé, cette longue nouvelle contient en elle les germes d'une étude possible de la société russe qui vie ou qui traverse la steppe. A travers les yeux du petit, ces personnages se font parfois inquiétants, dignes des contes et légendes russes.

Roman d'apprentissage, récit initiatique, récit de voyage, récit autobiographique, éloge de la nature et de l'âme russe, Tchekhov disait de ce petit livre qu'il était son chef d'oeuvre. Et en effet, sous une apparence de simplicité, voire d'indolence, ce livre contient beaucoup. Beaucoup d'humanité.

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