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Critique de Pasoa


Prendre rendez-vous. Se rendre à l'adresse indiquée, entrer dans l'espace réservé (feutré). Une table, des chaises. Rencontre avec Arthur Teboul. Après les civilités d'usage, s'asseoir et lui donner votre prénom puis patienter quelques instants, en silence. L'écrivain est en train de composer pour vous un poème-minute. Ne pas le regarder écrire, cela risquerait de le déstabiliser. Un instant plus tard, quelques minutes seulement, le poème achevé, l'auteur vous en fait la lecture et vous le remet en mains propres. le poème est à présent le vôtre. Après quelques mots échangés avec l'auteur, quitter le Cabinet d'écriture.

Inspirée de l'écriture automatique des surréalistes, l'initiative d'Arthur Teboul est en soi originale et singulière. Elle me rappelle un peu celle du grand poète américain Richard Brautigan qui, en 1966-1967, distribuait ses poèmes en pleine rue aux passants.

Que dire de plus de ce projet d'écriture de poème-minute ? Même si André Breton aimait à dire que « Tout acte porte en lui-même sa justification, […] que la moindre glose est de nature à l'affaiblir », je vais essayer d'en dire quelque chose.

Le poème-minute est en soi une véritable performance d'écriture. La maîtrise du style, le champ lexical, le pouvoir imaginaire d'Arthur Teboul sont en soi assez remarquables. Certains textes sont très beaux, comme À Bobin (poème dédié à Christian Bobin à qui Arthur Teboul voue une grande admiration), La nuit habituelle, ou encore La Petite empreinte :


« Reviens le brumeux matin des espoirs enivrés. L'écume parlait à la mer par-dessus. On entendait l'embrun et les cris des oiseaux indélébiles et la main invisible qui les promenait faisait du vent. Un château tout au bout de la digue, luminescent. Une pierre brillait en sa hauteur, on aurait dit un miroir très lointain ou une pierre précieuse, très précieuse. Rappliquant, le chien sur le bord de la plage haletait en trottant, langue pendue comme tous les chiens.
Ah le bord de la mer, on n'y reste pas longtemps mais l'impression est profonde, c'est une empreinte même, comme sur le sable mouillé, mieux que le sceau de l'intaille du plus grand des rois humains. Une petite empreinte de pied.
De ton pied d'enfant. »


Cependant, tout n'est pas égal dans le recueil. de nombreux textes cèdent au prétexte du temps imparti à l'écriture et n'ont pas le retentissement escompté.
Les poèmes minute nés d'un projet ambitieux et louable, portent pourtant en eux une certaine contradiction.

La poésie, comme la littérature en général, est un moment particulier, privilégié, qui requiert du temps, une attention particulière, un certain retrait du monde qui nous entoure, qui poursuit alors sa course sans nous.
L'idée d'écrire des poèmes en quelques minutes me semble aller à l'encontre de tout ça. le poème-minute, c'est écrire sans perdre de temps, c'est s'enfermer dans un souci « d'efficacité », dans un dépassement de soi et des contraintes liées à l'écriture.

Même si avec le Déversoir, les Éditions Seghers publient ici quelques-uns de ses nombreux poèmes, l'initiative d'Arthur Teboul, comme celles de beaucoup d'autres poètes de sa génération, porte en elle le désir de promouvoir une poésie qui ne soit plus seulement celle des livres, qui ne soit plus seulement à lire, qui sorte des sentiers battus.

Le Cabinet d'écriture (lieu d'un rendez-vous entre un auteur et son lecteur) et les Poèmes minute (un poème-objet qui atteste de la rencontre) sont quelques-uns des marqueurs d'un nouveau courant poétique très actif, très imaginatif, qui s'affranchit des normes jusque-là encloses de la poésie, où pointe cependant une part d'incertitude :

« L'armure scintillante

Je ne sais vraiment pas où cela me mène.
J'avoue avoir quelques craintes.
Je me sens vulnérable, à moitié nu.
C'est assez difficile de persévérer dans la désinvolture.
Rester léger, s'y tenir.
Il y a quelque chose de paradoxal dans la démarche.
Faire durer le geste.
Sans gesticuler.
Je fais comme si je gardais mon sang-froid.
Je fais comme si tout cela n'avait que peu d'importance.
Mais c'est faux.
Je prie pour que ça marche. Je durcis l'armure scintillante.
Puisse-t-elle éblouir quiconque la verra portée.
Pourquoi s'accrocher si fermement à cette entreprise dérisoire?

S'accrocher à l'ombre d'un oiseau qui passe.
À ce fétu de paille emporté par le vent.
Je voudrais dire Laisse-toi aller
Laisse-toi porter
Tout flotte
Je n'y crois pas moi-même
Mes pieds sont lourds comme des pierres envasées
dans le lit d'un ruisseau

Et je ne vous parle pas de ma tête

punitive. »

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