Arthur Teboul : "La poésie, c'est un contre-pouvoir sans pouvoir"

Le poète est cuit. Dans un gros pot de terre, il signe sa fin. Empreinte légère, au revoir, adieu. Dans la glaise sculptée. il murmure un peu. Hanté par les parfums profonds, son souvenir s'épuise avant d'arriver à la main qui signe. Au carrefour, il se fait au revoir de la main. C'est lui-même qu'il laisse. Ne m'en veux pas, dit-il au poète qui était là, en lui, et qu'il laisse sur le bord de la route. Ne m'en veux pas, mais c'est trop fatigant tes yeux à l'intérieur de mes yeux, ton avidité, tes alertes, ta détresse momentanée et permanente, tu m'épuises aussi, tu me tords. Je voudrais soulager ta peine, quand tu regardes à l'intérieur de moi, depuis mon intérieur. Je voudrais poser ma main sur ton front que tu t'endormes tranquillement au moins un jour, une nuit, mais tu as peur, toujours peur. De ne pas être à la hauteur. À la hauteur de l'homme, qui veut toujours se hisser au-dessus de lui-même. Je suis fatigué de ton désir, poète. Alors je te laisse là. Une empreinte, dans le pot de terre.
A mon réveil.
Mes paumes poussent le ciel
Qu'en tombe un oiseau bleu
Dans une boite vocale
J'ai fait mes armes
En suivant les éphémérides
Suivant le vent
J'ai fait mon lit
De l'érosion
Un oisillon
A mon réveil
Est là
Dans ma main droite
Mes paumes poussent le ciel
Qu'aille l'oisillon bleu.
Toi qui siffles
Sous la cloche décatie, la pierre sonna midi. Le plus haut soleil. La vigueur intempestive. J'eus envie de frapper le métal comme la pierre de la cloche. Pour étourdir longuement quelque chose en moi. M'assourdir en vibrant. Le vent ne sifflerait plus. Personne ne se moquerait. C'est moi qui donnerais l'heure. L'amertume avait ce goût délicieux, souvenance du sang et des écorces pelées, sauvagerie tenue par la bride. Tu m'étonnes que c'est excitant. Lèche-toi les babines à cet instant et tout devient possible. Tout s'embrase. Tu deviens le vent. C'est toi qui siffles jusquau sommet du clocher. Le matin lave ma bouche pleine. J'ai voulu être maître de ce qui n'était pas dans ma maison. De ce qui y était aussi. Ça m'apprendra. Le vent siffle encore à mes oreilles.

Elle aimait les matins dans les trains. Elle pouvait s'assoupir sans crainte. Une fois, une main pénétra dans son rêve et elle en fut bouleversée. Cela ne l'empêcha pas de continuer d'apprécier les matinées dans les trains. Dans sa ville, dans sa maison, elle laissait toujours sur une chaise du salon une pile de magazines pour plus tard. Plus tard ne venait jamais mais ce n'était pas grave, c'était là, au cas où, pour le jour où plus tard arriverait. Voie D, elle avait ses habitudes, la société des chemins de fer s'excusait souvent pour le retard. Une nuit, elle sortit de chez elle pour se rendre sur le quai de la voie D et attendre la rame qui viendrait le matin. Ça lui permit de souffler un peu. De penser tranquillement à ses enfants. A son travail aussi, qui était à plus d'une heure trente de chez elle. Aller-retour ça faisait trois heures par jour. C'était beaucoup pour une tâche aussi avilissante, mais il fallait bien gagner sa vie. Heureusement, elle aimait les matinées dans les trains.
UN BANQUET
[...]
Sa parole se répand dans l'air du banquet. Vivante comme l'esprit. Translucide. On rêve de s'y plonger, de l'étreindre. Mais elle est insaisissable comme l'eau.
--- Soulagement ---
Un peu de mousse
Des champignons
Là sur la bouche
D’aération
Du faux plafond
Les yeux au ciel
Des cabinets
Me voilà seul
Abandonné
Une idée naît.
Ce parfum dédommage
De l'absence d'une moitié
EN SOLDES
Un homme chapeauté
Entre dans la boutique
Institut de beauté
Ou magasin d'optique ?
Après que la vendeuse
L'a instruit longuement
Des promotions heureuses
Et du choix des onguents
Il salue et s'en va :
Merci je reviendrai
Quand des supernovas
Je saurai le secret.
Le pied du lit
Une chèvre trébuche au pied du lit.
Tous les moutons avaient déjà été comptés.
Un soulier trouve son pied, l’autre emprunté par un bélier.
L’autre soulier, pas le pied.
Que vous bêliez serait un luxe, dit le berger à ses moutons
déjà comptés.
Le sommeil ainsi travaillait à dessiner l’astre intérieur
qui habitait la tête du rêveur :
Chèvre, moutons bêlants, bélier.
Et un soulier autour d’un pied.
À ajouter au premier.
Pied.
Celui du lit.
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« Mes paumes poussent le ciel
Qu’en tombe un oiseau bleu
Dans une boîte vocale
J’ai fait mes armes
En suivant les éphémérides
Suivant le vent
J’ai fait mon lit
De l’érosion
Un oisillon
A mon réveil
Est là
Dans ma main droite
Mes paumes poussent le ciel
Qu’aille l’oisillon bleu » .