Karoo

Il n’existe pas de bureau, d’appartement, de hutte, de recoin ou même de faille sur cette terre qui ne finisse par devenir une antichambre où un homme attend que quelque chose se produise.

Désormais, toutes les guerres ne seraient plus tournées que vers la destruction de l’intimité. Les guerres, grandes ou petites, civiles ou pas, étaient des attaques collectives contre la vie privée. Il faudrait encore de très nombreuses années avant que l’humanité soit totalement libérée du joug de l’intimité et que le souvenir de son existence soit même effacé.

Peut-être que cette douleur dans le bas du dos était simplement le résultat du tassement de la colonne vertébrale.
Moins il y avait de colonne, plus il y avait de douleur.
Jusqu'au moment où vous n'étiez plus que douleur, sans aucune colonne.

Tout ce que Brad avait, c'était sa jeunesse et son physique avantageux. Il n'était pas plus important qu'elles, et elles le savaient. Moi, j'étais gros, je transpirais, j'étais vieillissant. J'étais l'image même du riche industriel devenu patron de studio et donc, à leurs yeux jeunes mais déjà avisés, l'homme à connaître.

Au loin, à l'autre bout de la pièce, je vis mon fils, dominant tout le monde. Il avait la tête baissée comme c'était toujours le cas quand il parlait avec des gens de taille normale.
Il me faisait penser à un tournesol.

Il ment effrontément, avec sa bouche, avec ses yeux, avec ses gestes.
Tout devient mensonge.
Dans son genre, c'est un show spectaculaire.
Une constante dévoration darwinienne d'actions par des contre-actions qui seront à leur tour dévorées.
Cette neutralisation perpétuelle fournit la quantité infinie d'énergie dont sa puissante personnalité a besoin.

Je savais qu'il mentait, au son de sa voix. Les mensonges avaient toujours leur petite mélodie, que je reconnaissais fort bien pour l'avoir souvent chantée moi-même.

Il va me falloir beaucoup d’enthousiasme et d’énergie si je veux vendre à Cromwell les mérites de mon affaire. Il ne suffit pas d’être une pute. Je dois être une Salomé. Je commence donc mon chant et ma danse.

Si Dieu devait se révéler maintenant et avec lui une poignée de vérités incontestables, presque tous ces livres disparaîtraient.
Si j'étais Dieu, me dis-je, je n'aurais pas le coeur d'apparaître maintenant. Pas après que ces livres et des millions d'autres ont été écrits. Non, je n'aurais pas le coeur d'apparaître aussi tard pour dire: "Me voilà, je suis venu vous dire la vérité et rendre superflus les siècles que vous avez passés à la rechercher." Non, s'Il était vraiment un dieu d'amour, Il resterait dans son coin. Il était trop tard, maintenant.
La tragédie de ce pauvre Dieu solitaire qui avait attendu trop longtemps pour apparaître m'envahit. Il était là, quelque part à la lisière d'un monde en expansion permanente, s'éloignant toujours plus de nous, filant loin de nous à la vitesse de la lumière. Il était là, avec sa poignée de vérités pour toute compagnie. Et nous, nous étions là, tout en bas, essayant de deviner ce que pouvait être la vérité, tentant de répondre aux grandes questions qui nous échappaient parce que même les indices que nous avions n'étaient pas bons.
Comment expliquer l'amour que je ressenti pour toute l'humanité à ce moment-là? Ce sens d'une futilité tragique qui m'unissait à chaque être vivant par des liens plus forts que le sang ou la fraternité. Et mon coeur s'élançait également vers ce Dieu solitaire, tout en haut, qui ne pouvait pas revenir régler les choses sans détruire l'homme.

Nos tentatives de changement, du moment qu'elles se terminaient par un échec total, renforçaient les liens de notre amitié.