AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Isidoreinthedark


L'oeuvre de Walter Tevis, auteur prolifique et éclectique, né en 1928, a récemment été remise au goût du jour grâce au succès de la série « Le jeu de la dame » adaptée de l'un de ses nombreux romans. Gallmeister a ainsi ré-édité « L'oiseau moqueur », une dystopie futuriste aux accents prophétiques parue en 1980. « L'homme tombé du ciel », paru en 1963 avant la traversée du désert de son auteur, également adapté au cinéma avec David Bowie, vient lui aussi de bénéficier d'une ré-édition de Gallmeister qui continue d'exhumer les pépites oubliées d'une certaine littérature américaine.

Le roman nous narre l'odyssée de Thomas Jerome Newton, un extra-terrestre fraîchement débarqué sur terre, en provenance d'une planète lointaine, qui abrite une espèce en voie de disparition, les Anthéens. Après avoir attentivement étudié les humains grâce au visionnage intensif des programmes de télévision captés par le peuple d'Anthéa, Newton a entrepris un long voyage dans l'espace pour rejoindre la terre dans une tentative désespérée de sauver ses semblables.

Grâce à une apparence très proche de celle d'un humain longiligne et dépourvu de pilosité, Newton parvient à se fondre dans la foule et à atteindre son objectif initial : amasser une immense fortune, en valorisant les brevets inspirés de la technologie pointue de sa planète.

Au fur et à mesure que se déploie le récit, le lecteur appréhende peu à peu la solitude existentielle qui étreint notre émissaire solitaire d'une civilisation bien plus avancée que la nôtre qui s'est quasiment auto-détruite à coups de guerres nucléaires. En plus de la souffrance physique que lui impose à chaque instant une gravité à laquelle son organisme n'est pas adapté, Newton prend progressivement une conscience aiguë de l'extrême difficulté de sa mission, qui implique d'épargner à l'humanité le sort que se sont infligés les Anthéens.

Notre héros mélancolique semble ainsi parfois sur le point de vaciller : « il se sentit dégouté, fatigué de cet endroit sordide et étranger, de cette culture bruyante, rauque, sensuelle et sans racines, de cet agglomérat de primates habiles et narcissiques - qui restaient vulgaires et indifférents alors même que leur piètre civilisation était en train, comme le pont de Londres et tous les autres ponts, de s'effondrer, s'effondrer, s'effondrer ».

La rencontre de Betty Jo, qui va devenir sa gouvernante et lui transmettre son goût prononcé pour le gin et de Bryce, un chercheur désenchanté qui subodore sa véritable nature vont redonner à notre extra-terrestre un second souffle, et lui permettre d'échapper à une solitude insurmontable. Newton va même pouvoir commencer la deuxième étape de son impossible projet, la construction d'un vaisseau spatial qui semble destiné à ramener sur terre les derniers Anthéens.

« L'homme tombé du ciel », écrit peu après la crise des missiles de Cuba, qui avait vu la planète frôler l'apocalypse nucléaire, est évidemment une métaphore, qui se glisse dans le genre de la science-fiction pour mieux dénoncer les pulsions auto-destructrices de notre civilisation, au paroxysme de la guerre froide entre l'Occident et le Bloc soviétique.

Si dans le roman, Newton provient d'une lointaine civilisation, on devine que dans l'esprit de Walter Tevis, son héros vient en réalité d'une forme de futur apocalyptique dans lequel notre civilisation atteint un niveau de sophistication technique jamais entrevu. Pour quel résultat ? le bonheur et la prospérité que promettaient les trente glorieuses semblent voués à être anéantis par une auto-destruction massive, réalisée grâce à ces « formidables » avancées technologiques.

« L'homme tombé du ciel » peut ainsi se lire comme une fable destinée à nous prévenir d'une destinée en forme de plongée au coeur des ténèbres. Par un renversement de paradigme émouvant, son héros extra-terrestre, pris au piège d'une inextricable solitude existentielle apparaît in fine comme le personnage le plus « humain » d'un roman à la beauté douce-amère, éclairé par la lumière froide de la mélancolie.
Commenter  J’apprécie          6413



Ont apprécié cette critique (56)voir plus




{* *}