Citations sur L'île d'Öland, tome 2 : L'écho des morts (71)
Les hommes, à moitié endormis, traînent des pieds, mais il arriveà les pousser dehors, dans la neige.
Ils se hâtent vers le rivage, arc-boutés contre le vent glacé. Brommesson tourne la tête et constate que les deux tours de pierre à moitié achevées sont toujours debout au bord de l’eau.
De l’autre côté, vers l’ouest, il ne voit rien. Le paysage plat de l’île s’est transformé en désert de neige ondoyant à perte de vue.
Les ouvriers se déploient sur la grève et scrutent la mer.
Impossible de rien voir dans l’ombre grise, du côté du banc de sable, mais on entend toujours, mêlés au ressac, de faibles cris – et les craquements cinglants des clous qui cèdent et du bois qui se brise.
Un gros bateau s’est échoué sur le sable et il est en train de couler
Ils réveillent Brommesson. À son tour, il va tirer du lit les
ouvriers épuisés.
«Un bateau échoué, dit-il. Il faut y aller.»
À l’approche de l’aube, le vent mollit enfin.
Alors, soudain, des cris arrivent de la mer. Ils sortent des ténèbres, devant Åludden – longs, déchirants, des appels au secours dans une langue étrangère
Puis le soleil a disparu, l’hiver s’est installé et, quand la température a commencé à baisser, les gens se sont mis à en parler. Et ellea fini par arriver, la tourmente. Un soir, tard, elle s’est jetée sur lacôte, comme une bête sauvage.
Un printemps frais, un été chaud, un automne ensoleilléþ: il faisait
bon vivre sur la côte. Le chantier avançait bien, les deux phares
s’élevaient doucement vers le ciel.
Les tours, Seigneur, laisse-nous les achever…
Brommesson est bâtisseur de phares, mais c’est la première fois
qu’il construit ce modèle à lentille sur la Baltique. Arrivé sur Öland
en mars de l’année précédente, il s’est aussitôt mis au travailþ: engager les hommes, commander de l’argile et du calcaire, louer des
chevaux de trait.
Mains jointes, Valter Brommesson prie. Dans une petite maison
de pierre, à Åludden, il prie Dieu que le vent et les vagues qui
déferlent cette nuit-là n’emportent pas ses deux phares.
Il en a vu d’autres, mais jamais tempête aussi violente. Un mur
blanc de neige et de glace arrivé du nord-est qui a stoppé le chantier
C’est ici que commence mon livre, Katrine, l’année de la construction
d’Åludden. Pour moi, ce n’est pas seulement un endroit où j’ai vécu
avec ma mère, c’est là que je suis devenue adulte.
Le pêcheur d’anguilles Ragnar Davidsson m’a un jour raconté
qu’une grande partie des bâtiments avait été construite avec l’épave
d’un bateau allemand transportant une cargaison de bois. Je le crois.
Tout au fond du grenier à foin, dans la grange, on lit gravé sur une
plancheþ: À LA MÉMOIRE DE CHRISTIAN LUDWIG.
J’ai entendu les morts chuchoter dans les murs. Ils ont tant à
raconter.
Devant lui, une dizaine de petit corps au poil brun . Des rats . Ils semblaient avoir été tués juste avant l'arrivée de Joakim.
Raspoutine avait soigneusement disposé les rats ensanglantés au pied du mur.
Comme une offrande.
L’annonce de l’agence immobilière était libellée ainsi :
"Magnifique demeure de gardien de phare, milieu du XIXe siècle. Situation isolée dans site préservé avec vue imprenable sur la Baltique, plage à moins de 300 mètres. Votre voisin le plus proche : le ciel ".