A mes yeux, l'étiquette "fille" était trop étroite pour contenir ma conception personnelle et grandiose de qui j'étais ; aussi, je n'en faisais en général aucun cas.
... la thérapie a constitué une aubaine. Elle m'a enseigné ce que l'on attendait de moi en tant que personne normale et, de fait, m'a rendue plus habile à la dissimulation et plus précise dans la mise en oeuvre de mes stratégies manipulatrices. Elle a notamment cristallisé une donnée vitale que j'avais déjà assimilée : la fragilité excuse n'importe quoi. J'ai appris à capitaliser sur mes vulnérabilités, réelles ou imaginaires.
Quant à mes parents, leur déni absolu de reconnaître aujourd'hui que quelque chose cloche en moi vient du profond sentiment de m'avoir irrémédiablement endommagée. Dès ma naissance, ils m'ont considérée comme atteinte d'un trouble, et tous leurs actes semblent avoir aggravé la situation par la suite.
Tout se passe comme si un peu de joie existait dans notre monde.
Mes frères et soeurs et moi-même sommes d'une franchise brutale els uns envers les autres, parce qu'il est dans notre nature d'être brusques, mais aussi parce que nous partons du principe que, si nous ne disons pas nos tristes vérités, personne d'autre ne le fera. Nous avons l'esprit compétitif. Si vous nous demandiez de citer l'un des traits de caractère de chacun - attrait, intelligence, agilité ou perversion, par exemple -, nous serions en mesure de le faire sans avoir à y réfléchir. Tous les miens ne sont pas sociopathes ; je suis la seule à avoir été diagnostiquée formellement. Mais nous avons grandi dans une famille qui privilégiait le sens pratique et le mépris envers la moralité, et nous avons tacitement adopté une attitude de rejet collectif du monde extérieur.
Quand quelqu'un qui vous aime vous maltraite avec autant de violence, c'est que vous exercez une emprise sur lui. Vous avez provoqué en lui une réaction qu'il est incapable de contrôler et, si vous êtes comme moi, vous utilisez l'incident comme cela vous arrange.
... il est évident que les comportements asociaux et l'attitude mentale qui me caractérisent se sont accentués durant mon enfance, que mon univers émotionnel s'est peu à peu pétrifié, que sont morts ma compréhension et mon respect des autres.
Parfois, j'entends des gens affirmer qu'ils sont "nés ainsi". Dire qu'on est né sociopathe est comme dire qu'on est né intelligent ou grand. Certes, il est possible d'avoir une prédisposition génétique à être intelligent ou à avoir une grande taille, ou simplement à parler et à se tenir debout, mais l'existence des enfants sauvages nous rappelle durement que personne n'est prédestiné à quoi que ce soit dès la naissance et que nous dépendons des relations basiques quotidiennes - nourriture, culture, éducation, expériences et diverses autres choses - pour devenir ce que nous sommes.
[Mes parents] m'ont beaucoup appris; A me protéger des émotions d'autrui, à en limiter les effets, à devenir autosuffisante. Ils m'ont enseigné que l'amour est tout sauf sûr. Aussi, je n'ai jamais compté dessus.
Plus grave que ces difficultés d'argent, l'hypocrisie de mon père m'a appris à n'avoir confiance ni dans les sentiments, ni dans tout ce que n'étayent pas des faits objectifs et irréfutables. Si mon coeur s'est durci, c'est - je crois - en réaction à son étalage de sensiblerie larmoyante et à ses références mensongères à la vertu.