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Critique de batlamb


Le temps de cette lecture, l'Europe de l'Est subvertit l'est d'Eden. On suit la vie et les passions de plusieurs générations de villageois, à partir de deux clans distincts, dont les noms sont marqués par les mythes bibliques. Ici, de façon héroï-comique : des polonais ordinaires se retrouvent appelés Michel Céleste, ou Père Divin.

Mais le personnage le plus important (par la description duquel s'ouvre le récit) c'est la contrée elle-même. Antan, monde nostalgique où les profondes racines catholiques de la Pologne se retrouvent mêlées d'une magie animiste. Sous le sol croît une moisissure, un mycélium décrit comme « la vie de la mort », semblable à un réseau neuronal qui s'empare du passé pour lui conférer une nouvelle existence. La nostalgie transforme l'ancien temps en un espace hors de notre monde.

De fait, cet espace fantaisiste sert à illustrer la relativité du temps. Tout est une question de point de vue. On alterne entre le temps tel que les hommes le perçoivent (avec les nuances que cela implique entre les individus) et d'autres temporalités alternatives, parfois fantaisistes : les animaux bloqués dans un instant d'émotion brute, les végétaux existant dans un rêve atemporel, ou encore les objets, symboles du temps lui-même. Tel le moulin à eau au croisement des deux rivières, reflet géant du moulin à café de la famille Céleste, dont la transmission entre les générations marque le début et la fin des péripéties. Comme si tout cela n'était qu'une légende familiale racontée au coin du feu, au sein de laquelle s'entremêlent d'autre mythes aliénants.

Ces mythes, Tokarczuk les réécrit et les mélange, comme une apprentie alchimiste, observant les (ré)actions de ses personnages autour des rivières Blanche et Noire d'Antan. Des interludes énigmatiques présentent des échos d'autres mondes, d'autres histoires, où Dieu supplierait l'homme de rester à Éden, et où Abel tuerait Caïn. Autant d'étapes d'un Jeu labyrinthique offert au châtelain d'Antan par le rabbin local. Un Jeu où l'on progresse vers des mondes de plus en plus vastes, en s'éloignant des hommes, du temps, et même de Dieu, comme si on les observait depuis l'infini, où s'enracine l'Arbre de Vie kabbalistique.

C'est donc une sorte de jeu de l'oie inversé : on ne cherche pas à atteindre un repli central mais un extérieur universel. Là, il n'y a plus une unique façon d'envisager le monde. En échappant à lui-même, Dieu se regarde à travers le miroir de sa création. de même que l'écrivain (maître du jeu narratif) et le lecteur observent leurs reflets dans les pages.

« Étudiant le reflet que lui renvoient les mondes, Il se connaît de manière de plus en plus parfaite et puisque cette connaissance L'enrichit, elle enrichit les mondes. »

C'est un grand roman contemporain, au style limpide, qui brasse les destins et les idées avec la grâce impassible du moulin à eau.
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