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Critique de Arimbo


Une auteure que je n'ai jamais lue, bien que je sache qu'elle a reçu le Prix Nobel de Littérature en 2018, et que c'est une femme engagée contre la Droite populiste au pouvoir en Pologne.

Mais il y a Babelio, source magique de tant de belles découvertes, surtout quand vous avez des ami.e.s de qualité. Et après vous finissez par avoir un peu scrupule de trouver superbes tous ces livres conseillés. Mais c'est normal, vous et vos ami.e.s avez sans doute des appétences, tournures d'esprit, qui se ressemblent.
Ici, c'est mon amie Isacom qui m'a conseillé de débuter la lecture de l'oeuvre d'Olga Tokarczuk par ce livre de nouvelles, et je n'ai pas été déçu.
Évidemment, je ne peux le comparer à d'autres livres de l'auteure, mais celui-ci m'a fait forte impression. Et cela dans le sens où ces histoires bizarroïdes se sont imprimées en moi, et que j'en suis en quelque sorte « habité » par elles depuis quelques jours, qu'elles me questionnent et que je les ressasse, et que j'ai un peu de mal à en sortir un commentaire qui puisse en traduire la beauté et la complexité. Car, en n'en pas douter, on a affaire, et c'est ce qu'on aime découvrir, à une littérature complètement originale, une façon de raconter « autrement », qui est la marque d'un ou d'une grand.e. écrivain.e.

Et pourtant, c'est une écriture simple et taillée comme un bijou, et une construction magnifique, avec, ce qui est la caractéristique d'une nouvelle bien faite, une fin qui surprend.
Bien sûr, il y a aussi la part de la qualité de la traductrice, qui arrive à rendre la fluidité du récit, même si celui-ci est plein de petits détails qui le pimentent souvent d'une note d'humour, d'ironie.

Les dix nouvelles sont d'une grande variété de longueur, et explorent l'étrangeté par différentes approches: le réalisme ambigu, décalé, le fantastique, la science-fiction.

Dans le premier domaine, il y a le passager, histoire d'un cauchemar récurrent, mais dont l'explication finale nous laisse dans la perplexité d'une dislocation du temps; Les bocaux, dont le lecteur se demande s'il s'agit, ou pas, d'une cruelle vengeance posthume d'une mère maltraitée par son fils; Les coutures où un homme , après le décès de sa femme, découvre que la réalité a changé, que les chaussettes ont des coutures, les timbres-poste sont ronds, etc….; le coeur, l'histoire, chargée d'ironie, d'un couple de retraités à la vie mécanique et adepte de voyages exotiques, dont le mari va connaître, après une greffe cardiaque d'étranges sensations; et enfin, celle qui m'a le plus impressionné, Une histoire vraie, un récit digne de Kafka, un engrenage fatidique de catastrophes, y compris quand notre malheureux héros fera preuve de compassion et de dévouement à l'égard d'une victime.

Dans les histoires au ton fantastique, celle intitulé Les enfants verts se situe au 17ème siècle.Un médecin du Roi de Pologne, nous raconte, avec le ton propre à l'époque, sa rencontre avec des enfants trouvés dans la forêt et au teint végétal, jusqu'à une fin si étrange que cet homme écrit cette conclusion extraordinaire, où j'ai ressenti, en arrière-plan le clin d'oeil amusé de l'auteure: « Je compte sur toi, lecteur, pour m'aider à comprendre ce qui y est arrivé et qu'il m'est difficile de saisir, tant les lisières du monde sont propres à nous marquer d'une impuissance mystérieuse ».

Deux nouvelles sont enfin dans un registre à la frontière entre le fantastique et la science fiction.
La visite qui illustre l'isolement autarcique dans un monde bien à elles de quatre femmes strictement identiques (qu'on imagine produites par clonage) et le danger terrifiant perçu par l'arrivée d'un voisin « unique ».
La formidable nouvelle La montagne de tous les saints nous fait suivre une scientifique âgée et malade, mondialement connue pour un test psychologique efficace, qui est amenée à l'appliquer dans une étude sur des enfants adoptés, à la demande d'un Institut suisse, pour découvrir à la fin la vraie et bien étrange raison de l'étude qu'elle a conduit.

Enfin, deux récits de science-fiction saisissants.
Le transfugium, Les quelques jours d'une famille rassemblée pour une sorte de cérémonie célébrant le départ d'une « femme » vers le monde sauvage, séparé en ces temps futurs du monde des humains. Ses parents, sa soeur, son fils verront partir cette femme changée en un autre être que je ne vous dévoilerai pas.
Le calendrier des fêtes humaines. Dans un futur « post- ère du plastique », c'est l'âge du fer qui est de retour. Et un homme déifié qui est maintenu dans une sorte de simulacre de vie depuis plusieurs centaines d'années, grâce notamment aux soins d'habiles masseurs, et qui cimente (ou dont on se sert) pour maintenir la paix, jusqu'à ce que….

Que de réflexions ces nouvelles m'ont inspiré.
Non seulement sur le transhumanisme, le clonage humain, toutes ces terribles potentialites de la science.
Non seulement sur le mensonge des religions inventées pour leurrer les humains et les soumettre.
Mais plus encore sur le lien de l'être humain avec la nature, lien distendu, perdu, alors qu'il est vital.
Et puis le fait que Homo sapiens n'est rien d'autre qu'un animal avec un gros cerveau.
Et plus encore que tout, que malgré notre savoir, notre science, il y a dans le monde tant de choses qui nous échappent, et qu'il faut l'accepter.
Et enfin que l'imaginaire, la fiction, sont peut-être le salut de l'être humain.

Mais tout cela, ce ne serait rien sans la façon incomparable de nous raconter, qui m'a vraiment marqué. Oui, Olga Tokarczuk, c'est quand même autre chose que…., je ne donnerai pas de noms, on ne sait jamais.

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