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Critique de Dandine


SEMAPHORE
O vous qui aimez les belles histoires bien ficelees, qui cherchez du suspense, lachez ce livre! Passez outre! Passez votre chemin! Allez ailleurs! Partez! Fuyez!
Mais si vous ne savez pas trop de quoi vous etes en quete, si vous etes prets a vous laisser mener par le bout du nez, sans savoir vers ou, a vous laisser haler par des chemins detournes, ce livre est pour vous. Il vous arrachera a votre home sweet home, vous prendra vers de nombreux ailleurs, que vous ne conceviez pas, que vous ne soupconniez pas, certains charmants et d'autres mines. Partez avec lui! Ne le fuyez pas! Il vous decevra peut-etre. Il faut etre pret a tout.

ENTRER DANS LA MELEE
Mais qu'est-ce que c'est que ce fatras? Tokarczuk nous raconte ses voyages, ses envolees, des rencontres fortuites. Elle y introduit ses elucubrations sur la difference entre l'ici et l'ailleurs, sur la necessite de bouger, sur le desir de partir, de se perdre. Elle y mele des nouvelles plus ou moins longues qui paraissent (du moins au debut) deplacees, hors de tout contexte. Elle parseme des descriptions tres detaillees de ce qu'on appelait des cabinets de curiosites, panopticums, wunderkammers, et de leurs tresors, squelettes, membres plastines, fiasques ou nagent des coeurs, des reins, dans du formol ou autres solutions savantes, " ...dans un bocal allonge, muni d'un couvercle qui ressemblait a une sculpture, flottait un foetus aux yeux fermes, suspendu par deux crins de cheval. Ses petits pieds touchaient ce qui restait du placenta rougeatre, dispose sur le fond." Morbide? Morbide! Vous vous sentez mal? Vous allez vous evanouir? Vous voulez des sels?

SORTIR DE LA MELEE
A des dizaines, des fois des centaines de pages, des nouvelles se completent, des chapitres se repondent, et l'incomprehension s'attenue, on arrive a saisir, sinon un sens, au moins une direction. Tokarczuk peregrine, dans sa vraie vie peut-etre, en litterature surement. Elle part pour l'inconnu et nous prend avec elle. Et elle nous berne. Les trois questions qu'elle dit etre inherentes a tout peregrin, pays d'origine, point de depart, point d'arrivee, ne sont pas valides pour son texte. On subodore le point de depart mais on ne sait jamais quel sera le point d'arrivee. Et le lecteur de se demander: ou suis-je arrive? Suis-je vraiment arrive? Serais-je en transit? Est-ce que Tokarczuk est en transit? Entre des romans differents? Entre des conceptions differentes du roman? C'est peut-etre ca. Elle essaie ici une oeuvre circulaire, qui tourne tourne et tourne autour d'un theme, ou plutot d'une idee, essayant de la tester, de la tamiser, dans differents genres litteraires. "Aujourd'hui je peux me poser la question: que cherchais-je?"

Et ca donne une sorte de roman post-moderne, non denue d'interet. Parseme de tres belles pages, de beaucoup de fragments a mettre en citations. J'ai particulierement aime la derniere grande nouvelle, Kairos, dont le titre (et le contenu bien sur) fait echo a des passages precedents, lointains, qu'on croyait avoir oublies. Des passages qui semblent donc en perpetuel changement, qui se tortillent et se deplacent pour mieux nous maneuvrer. Les textes de Tokarczuk semblent avoir adopte la devise, la publicite, entr'apercue dans un aeroport: "La mobilite est la realite."

Essayez donc ce livre. Ne le fuyez pas. Au contraire, fuyez avec Tokarczuk vers des destinations inexplorees. Prenez le baton du peregrin.

ACKNOWLEDGEMENTS
Ce livre a recu de grands prix. Je lui prefere quand meme Les Livres de Jakob, qui est a mon avis le chef d'oeuvre de l'auteur jusqu'ici (elle est encore jeune...). Je lui avais octroye quatre etoiles, celui-ci n'en recevra donc que trois et demie.
Il y a aussi une deuxieme raison a cette "notation". Par hasard, sans nous concerter, nous avons entrepris la lecture de ce livre a peu pres en meme temps, Bookycooky et moi. J'ai lu son compte-rendu, que j'ai savoure (ah! les emoticones! nouveau?) (appel du pied discret pour qu'elle apprecie le mien). Par une ancienne tradition de generations de babeliotes, contractee en d'autres vies, j'ai pour habitude d'etre plus radin qu'elle, plus pres des etoiles de ma bourse. Abandonner cette tradition serait une trahison, et je n'aurais plus qu'a fuir au loin, a reprendre un peregrinage au destin incertain.
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