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Critique de MartinServal


Résurrection narre le voyage initiatique d'un bourgeois qui abandonne sa classe et découvre avec horreur sa propre imposture, dans un récit mené de main de maître. On y retrouve l'extraordinaire talent de Tolstoï pour mettre ses personnages face à leurs contradictions, leur renvoyer leur égoïsme naturel et ainsi les forcer à étaler leur cynisme. C'est particulièrement apparent dans les descriptions qu'il fait des relations entre les Hommes, où chacun cherche à extirper son plaisir et son intérêt, quitte à agir sans noblesse ni vertu.

Profondément contrit par la faute originelle qu'il a commise sur une de ses servantes, la faisant tomber dans la dépravation, le prince Nekhlioudov décide de tout faire pour se racheter en la suivant dans sa déportation vers la Sibérie.

À travers son repentir, le prince met à jour le système de domination sociale institutionalisée dans la société russe, l'inégalité de traitement et de justice entre riches et pauvres. C'est une critique systémique de la mainmise de la bourgeoisie sur les institutions supposées protéger le peuple que Marx ne renierait certainement pas !

Malgré l'évidente injustice de la situation que Nekhlioudov découvre, une sourde dissonance cognitive l'assaille. Il doute souvent, peine à être un véritable traître à sa classe et garde malgré lui un véritable amour de l'argent, des femmes de la noblesse, du raffinement aristocratique.
Merveilleusement décrit, il oscille entre la candeur inconsciente du nanti bien pensant et l'hypocrisie du bourgeois matérialiste.

Ce qui est particulièrement intéressant à observer dans ce récit, c'est la déception qu'il ressent alors qu'il s'attend systématiquement à recevoir de la part des pauvres qu'il aide une gratitude intense, dans une attitude tout à fait pharisienne.

C'est donc une vraie fable marxiste et révolutionnaire, tragique de par le destin terrible auquel les prisonniers sont voués, demeurerant pourtant résolument optimistes. En effet, les détenus ne sont ni tristes ni abattus, ils vivent avec chevillée au corps la foi en la Révolution et l'avènement d'un monde plus équitable et plus juste.

L'on navigue ainsi entre les détenus politiques s'écharpant sur les conditions de vie auxquelles les paysans pourraient aspirer si la révolution advenait, les couples emprisonnés qui continuent de faire vivre leur amour malgré la promiscuité, les femmes qui suivent leur mari injustement emprisonné, etc.

Tolstoï dénonce la culture du vice et de l'immortalité qui règne dans les prisons, résultat des sévices avilissants et des humiliations inexplicables infligées à des détenus la plupart du temps innocents, seulement coupables d'être pauvres, et que l'administration pénitentiaire déprave alors même qu'elle prétend les sauver.

À la fin de la narration de la conversion typiquement chrétienne du héros, Tolstoï prône pour finir un anarchiste judiciaire, citant longuement l'Évangile de Saint Matthieu pour affirmer que l'homme ne peut juger l'homme puisque chacun est coupable envers tous.
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