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Résurrection tome 0 sur 3

Georges Nivat (Préfacier, etc.)Edouard Beaux (Traducteur)
EAN : 9782070389421
643 pages
Gallimard (03/06/1994)
4.17/5   176 notes
Résumé :
Tolstoï entame une enquête immense, descend dans l'enfer putride des prisons, scrute les détenus, polémique avec les " idéologues " révolutionnaires, interroge le peuple. Résurrection se veut un roman total, mais cette fois-ci le Tolstoï millénariste refuse la durée et exige tout tout de suite : le salut total de la création. C'est peut-être ce qui fait de Résurrection, paru quand naissait le XXe siècle, un signe avant-coureur des grands soubresauts millénaristes de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
4,17

sur 176 notes
Résurrection est peut-être le plus dostoïevskien des romans de Tolstoï : il y est question de Crime et de Châtiment, de pauvres Gens, de Souvenirs de la Maison des Morts (la déportation et le bagne de Sibérie), d'un Idiot (à tout le moins un prince que les gens de son milieu jugent tel) et d'un savoureux mélange politico-religieux qui n'a rien à envier aux Possédés.

Pourtant, c'est assurément le plus personnel des romans tolstoïens : le héros, Nekhlioudov, est tellement imprégné, nourri, imbibé du véritable Tolstoï que c'en est touchant, troublant même. Est-ce une fiction ? Est-ce une autobiographie ? Un roman ? Un essai politique ? Je crois bien qu'on y est constamment sur la ligne de partage des eaux.

Résurrection ne jouit pas d'une aussi grande réputation qu'Anna Karénine ou que La Guerre et la Paix. Est-ce à dire qu'il est moins bon ? C'est toujours très difficile de se positionner là-dessus. En ce qui me concerne, je crois qu'effectivement, cette réputation moindre est justifiée, en revanche, l'écart de réputation entre cet ouvrage et les susnommés, lui, ne me semble pas justifié. Car il ne s'en faut tout de même pas de beaucoup pour que Résurrection aille tenir la dragée haute à Anna Karénine.

C'est surtout la troisième partie, qui, d'après moi, a le ventre un peu trop mou. Tolstoï, qui courait si vite, qui courait si bien dans les deux premières parties, a absolument tenu à franchir un terrain difficile, particulièrement meuble (donc très risqué d'un point de vue romanesque) et ses pieds se sont malheureusement un peu englués dans la vase qui colle.

Il a quitté ce qui fait la moelle et les artères d'un écrit romanesque pour basculer franchement dans l'écrit engagé politique et sociétal. À sa façon, ce roman se rapproche d'un livre à la 1984 de George Orwell. On sent bien, on sent trop que le destin, la relation de Maslova avec Nekhlioudov n'intéresse pas vraiment l'auteur. Ce n'est qu'un prétexte à tenir son propos engagé contre les institutions que sont les tribunaux et les prisons, contre cette organisation sociale inégalitaire et injuste, qui place l'aristocratie terrienne au pinacle et ceux qui font effectivement le travail, au quatrième sous-sol, malheureux comme les pierres.

Je partage son propos mais, en tant que lectrice, mes appétits romanesques sont un petit peu déçus par cette fin qui ne s'appelle pas une fin mais plutôt botter en touche. Qu'on s'appelle Tolstoï ou non, le roman ne peut pas être qu'un prétexte à l'essai politique ou philosophique, ou alors mieux vaut choisir une autre forme que le roman. C'est ce qui pénalise, d'après moi, Clarisse Harlove de Richardson, c'est ce qui me déçoit un peu dans 1984 et tous les romans de ce genre : le roman doit avoir une fin romanesque. L'émotion suscitée ne peut pas être bonne à tout faire et surtout n'être bonne qu'à porter une réflexion : émotion et réflexion sont comme l'huile et l'eau. L'ossature du roman, ce sont les personnages, si l'on se désintéresse à la fin des personnages, alors, mécaniquement, on se désintéresse un peu du roman également.

Dans le dernier tiers de Résurrection, après avoir fait tant monter sa mayonnaise, Tolstoï ne nous fait presque plus percevoir ce que ressent Maslova. Or, c'est elle et sa relation avec Nekhlioudov qui nous intéresse, nous les lecteurs du roman. Les lecteurs de l'essai dans le roman, c'est autre chose, cela reste intéressant, bien qu'en ce qui me concerne, il prêchait une convaincue. Non, on aurait voulu autre chose entre elle et lui, quelque chose qui nous eût fait fondre en larmes ou empli d'allégresse, quelque chose qui nous eût fait croire que décidément, la vie est mal faite, injuste ou belle, que ces deux-là sont passés à un cheveu du bonheur, ou d'un malheur bien pire, que sais-je ? mais quelque chose en tout cas, qui vienne clore notre investissement émotionnel. C'est comme d'allumer des bougies sur un gâteau sans avoir la joie des les souffler, c'est frustrant.

Et cette émotion ? Et cette histoire ? Quelle est-elle ? Nekhlioudov, aristocrate oisif, prince russe de vieux lignage (exactement comme l'était Tolstoï) qui après avoir fréquenté les armées du tsar s'essaie à l'art en amateur en regardant grossir son ventre d'année en année. Il est plus ou moins promis à un mariage avec la belle mais très superficielle Missy, fille des très opulents, très influents Kortchaguine. Il hésite, sentant vaguement que cette alliance sera pour lui comme une corde au cou.

Un petit événement va venir gripper quelque peu cette belle mécanique, bien huilée des convenances et du mode de vie de l'aristocratie pour Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov. En effet, celui-ci va être désigné juré dans une affaire d'empoisonnement impliquant un marchand, une prostituée et des hôteliers. Nekhlioudov souhaite faire de son mieux, mais, pour dire le vrai, cette histoire ne l'intéresse pas plus que ça, jusqu'au moment où…

… il s'aperçoit que la prostituée en question est une vieille connaissance à lui. Il l'a connue des années auparavant. Il la savait orpheline et recueillie par ses tantes. Il sait, il se souvient, même si c'était dans une autre vie, qu'il l'a trouvée jolie, qu'il l'a désirée, qu'il l'a aimée, même. Il se souvient encore qu'il l'a séduite, qu'il a obtenu d'elle ce que les hommes aiment obtenir des femmes et qu'il l'a ensuite laissée tomber comme une vieille chaussette qui pue. Pourtant, au fond de lui, il l'aimait. Et elle, elle l'adorait, elle se serait tuée pour lui…

Lui était reparti dans son régiment… Elle… Elle était enceinte. Et une jeune femme enceinte, en dehors des liens sacrés du mariage, dans une famille aristocratique et très respectable, ça ne se peut pas, si bien que la jeune femme fut chassée quand la « faute » fut devenue manifeste. Elle alla par les chemins, chercha à se faire employer à droite à gauche mais, décidément, victime de sa trop grande beauté, les hommes ne souhaitaient l'employer que comme Nekhlioudov l'avait fait.

De déconvenues en déceptions, de déceptions en dépravations, Catherine, Katioucha comme on l'appelait chez les tantes, devient peu à peu Maslova, la prostituée affriolante qu'on s'offre pour trente roubles dans une maison prévue à cet effet. Quel choc pour Nekhlioudov ! Cette jeune fille, cette Katioucha, qu'il avait connue si pure (le prénom Catherine évoque, d'ailleurs, étymologiquement, cette pureté), si belle, si réservée, si morale, cette Katioucha qui est devenu cette Maslova, qui a ce regard hardi, qui tient si fièrement sa grosse poitrine en avant et qui sourit aux hommes d'un air de dire : « Veux-tu monter, beau gosse ? »

Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme quand il assiste à cela ? Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme qui a fait tomber une jeune fille irréprochable le jour de Pâques, le jour de la résurrection du Christ ? Que se passe-t-il lorsqu'un homme, un artiste, qui se croit juste et raffiné est mis en face de son « oeuvre », est mis en face de son animalité, de son inconséquence, de son immoralité, mis en face de ses responsabilités vis-à-vis de la société ?

Mais que peut un homme ? Même un Nekhlioudov, même un prince de sang face à un système qui a mis en place toutes sortes de garde-fous pour se préserver lui-même, pour se légitimer ? La justice, les tribunaux, les prisons, des fonctionnaires, des ministres, des forces de l'ordre… Quelle justice ? Forces de quel ordre ? Ce monde inique où celui qui s'use au travail à tout juste de quoi se nourrir et se vêtir tandis que ceux qui bénéficient de son travail se vautrent dans l'oisiveté et ne savent que le mépriser ? L'ordre qui trouve immoral de voler, de tuer, de se prostituer mais qui lui même fait quoi de ses journées ? Les possédants font-ils autre chose que de voler, de tuer, de se prostituer pour accroître encore l'étendue de leurs possessions ?

Évidemment, le propos de Tolstoï est toujours valable aujourd'hui et plus que jamais. On bourre les prisons de gens qui n'auraient probablement jamais versé dans la délinquance s'ils avaient eu des chances de prospérer par d'autres biais. Au nom de la moralité on enferme celui ou celle qui se rend coupable d'un braquage mais au nom de la moralité on déroule le tapis rouge aux banquiers, aux assureurs, aux rentiers par décision d'État qui pratiquent le vol légalement et à grande échelle. On stigmatise celui qui a tué quelqu'un avec une arme à feu mais que font nos armées au Mali, en Syrie ou ailleurs ? J'imagine que nos soldats cultivent la pâquerette et le pissenlit au Mali. Dans l'intérêt de qui ? du peuple français ? du citoyen lambda ou de M. AREVA ? George Bush qui a fait butter je ne sais combien d'innocents irakiens a-t-il eu à répondre de ses crimes ?

À quoi aboutit ce bourrage des prisons ? À une amélioration du comportement de ceux qu'on y envoie ? le peuple est-il mieux protégé grâce à elles ou plus en danger ? Aujourd'hui comme hier, en Russie comme partout ailleurs, la seule façon de juguler la violence est d'instaurer la justice sociale, de donner une vraie place à chacun et de suivre avec humanité ceux qui relèvent effectivement de la pathologie. Or, j'ai peine à croire que tous ceux qui peuplent les prisons relèvent de la pathologie ; certains, sans doute, mais sûrement pas la majorité.

Investir dans la réhabilitation des individus dangereux plutôt que de les concentrer dans une pétaudière insalubre où l'on ne cultive que leurs plus abjectes facettes. Car, tous les hommes ont des facettes néfastes et des facettes admirables, tous. Même les criminels ont des qualités admirables.

À titre d'exemple, souvenons-nous du siège de Sarajevo dans les années 1992-1995 : lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, ce sont, pour l'essentiel, des délinquants, des criminels bosniaques qui ont défendu Sarajevo face aux Serbes. Je le répète car cela peut paraître incroyable : une minorité de délinquants et de criminels bosniaques ont sauvé du massacre une majorité d'honnêtes et paisibles bosniaques, qui les méprisaient auparavant et qui rêvaient de les voir croupir en prison… Je vous laisse méditer là-dessus car, de toute façon, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Éditions Rencontre Lausanne 1962 – Traduction Téodor de Wyzewa – Préface Alexandre V Soloviev

Devant l'oeuvre du grand Lev Nicolaïevitch Tolstoï, je me suis sentie intimidée et c'est en toute humilité que je rédige un commentaire sur Résurrection.

Écrit de 1895 à 1898, Tolstoï a soixante dix ans lorsqu'il termine ce roman sous le titre de Résurrection. Roman engagé, peut-on y voir son testament ?

Au tout début de mon adolescence, à l'âge où les jeunes filles ont un esprit romanesque, Anna Karénine m'avait ouvert en grand les portes de la belle littérature. En suivant, je m'étais abreuvée de Guerre et Paix (1869), des Cosaques (1863), j'aimais tellement cette ambiance, dans cette Russie qui me faisait rêver, qu'un tel titre ne pouvait que détourner mon attention. Résurrection sonnait à mes oreilles dans toute sa connotation christique et ne m'incitait pas à l'évasion.

J'avais tort, je l'avoue, mais c'est un roman de la maturité. Bien qu'Anna Karénine occupe une place de choix dans mon coeur, je reconnais que Tolstoï nous offre son troisième chef d'oeuvre me semble-t-il. Il parvient à mêler le romanesque à un militantisme sans le moindre faux pas et c'est là tout son génie littéraire. Roman engagé, c'est une attaque en règle contre le sort qui est réservé aux prisonniers russes. Il faut lire les scènes qui pointent l'arbitraire de la justice, la religion qui a oublié le sens des Evangiles (la messe dans la chapelle de la prison est sans appel), la forfaiture, le malheur des pauvres, l'immoralité, c'est une épouvantable vision de la société russe de cette fin du XIXème siècle.

Lev Nicolaïevitch Tolstoï jette un regard sans concession sur ladite société d'autant plus virulent qu'il le fait dans la force de l'âge. Il a vu la pauvreté s'étaler sous ses yeux, la misère dans les rues, alors il cogne fort, il tente dans un sursaut littéraire, d'éveiller les consciences. Les conditions de détention inhumaines, les bastonnades entraînant la mort, la puanteur, les rats, les enfants dans les prisons, la misère est là, sous nos yeux et c'est Nekhlioudov qui nous montre le chemin. Partout où se pose le regard, il ne voit que tyrannie. Les paysans ont faim, écrasés par le système des propriétaires terriens.

Il y a une part de Lev Nicolaïevitch dans Nekhlioudov, c'est comme une évidence, me semble-t-il. En lisant, je repensais à ce qu'écrit Dominique Fernandez :

Page 10 – « Avec Tolstoï »

« La vie du grand homme peut se résumer ainsi : une période poétique, merveilleuse, innocente, radieuse, - une période de grossier libertinage au service de l'ambition, de la vanité et surtout du vice – une période où il se range, du point de vue du monde, on pourrait qualifier de morale – c'est là que pendant dix huit ans Tolstoï écrira Anna Karénine et Guerre et Paix, - une période dite spirituelle où il sera entouré de la secte des tolstoïens, période tourmentée, radicale ! ».

J'y retrouve le parcours de Nekhlioudov comme dans le résumé qui suit :

A l'adolescence, Nekhlioudov et Katioucha tombent amoureux. Cette dernière est gouvernante chez les tantes de celui-ci. Prince de sang, il intègre un régiment comme tous les jeunes gens de sa classe sociale. Et pendant ces trois années de formation militaire, Nekhlioudov va perdre toute son innocence au contact de ses camarades. Composés uniquement d'officiers riches et nobles, ils se réunissent dans des restaurants de luxe, à dépenser de l'argent sans compter, occupés principalement par les chevaux, l'escrime, le bal, le théâtre, le vin, le jeu et bien sur les femmes. C'est dans cet état d'esprit que Nekhlioudov va revenir chez ses tantes, pressé de revoir Katioucha. Trop pressé d'ailleurs à tel point qu'il la violera. Violée, enceinte, Katioucha se retrouve à la rue, chassée par les tantes de Nekhlioudov.

Huit années passent jusqu'au jour où Nekhlioudov, juré lors d'un procès d'Assises, retrouve Katioucha dans le box des accusés. C'est à cet instant que sa vie bascule et qu'il prend la mesure des conséquences de son acte, de son égoïsme, de sa violence, de sa bassesse. Sa cruauté a entraîné Katioucha inexorablement vers la prostitution. Katioucha condamnée, il n'aura de cesse de se faire pardonner, de réparer. Il va jusqu'à épouser la cause du peuple, cherchant à le libérer de l'emprise des aristocrates et de la classe très aisée. Il souhaite effacer, gommer la misère, les inégalités. Il renonce à certaines de ses terres qu'il va redistribuer aux paysans (Je pense à Lévine qui cherche aussi à améliorer le sort des paysans dans Anna Karénine, relu il y a deux ans).

Nekhlioudov nous entraîne dans un périple à travers les prisons, les camps, la Sibérie, partagé entre l'espoir et le désespoir, persuadé que seul l'Amour universel changera l'être humain. Dans ce récit, les prémices de la Révolution russe se révèlent, la misère est telle qu'il eut été incompréhensible de ne pas en arriver à cette page de l'Histoire de la Russie même si on en connaît la suite.

Nekhlioudov a de grands moments d'exaltation. Il demande à Dieu de le purifier. C'est là que Lev Nicolaïevitch se dévoile dans ce qu'il a de plus radical, dans son besoin de pureté, de dévotion, cette soif de Dieu, d'absolu. Au cours de cette lecture, j'ai eu vraiment le sentiment d'entrer en contact avec la personnalité de Tolstoï, d'entrevoir la philosophie de la fin de sa vie, ses préoccupations comme son sectarisme et sa révolte intérieure. Sa plume vibre d'un grand mysticisme et d'une grande colère, c'est en cela que ce roman diffère de ses autres récits.

« le sort de tous ces malheureux, bien des fois innocents même aux yeux du gouvernement, dépendait de l'arbitraire, des loisirs, de l'humeur, soit du gendarme ou du chef de la police, soit du dénonciateur, du procureur, du juge d'instruction, du gouverneur ou du ministre. Si l'un de ces fonctionnaires s'ennuyait ou s'il désirait se mettre en évidence, il ordonnait l'arrestation et, selon son humeur ou celle de ses chefs, détenait les gens en prison ou bien les relâchait. »

NDL : Pardon pour la longueur

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Une magnifique histoire, un chef d'oeuvre à mon sens. La description d'un pays, d'une société, de deux êtres incroyables : La Maslova et Nekhludov.
Résurrection est le roman du lâcher-prise. Ce sont deux jeunes adultes qui sont tombés amoureux. Elle est servante et a été élevé par les tantes du jeune homme.
Il va suivre le mouvement, faire comme les autres hommes et la déshonorer sans aucuns scrupules, elle va céder à la tentation. C'est une histoire vieille comme le monde. Elle va tomber enceinte et sera chassée par les deux soeurs (qui sont les deux personnes à blâmer pour leur manque de compassion envers cette jeune fille, mais il s'agit d'une autre époque). de là elle connaitra l'humiliation, la prostitution, l'alcoolisme, et finira en prison accusée de meurtre. Nekhludov, juré d'un procès, à la surprise de la retrouver au ban des accusés.
Le génie de Tolstoï réside dans le fait de nous faire découvrir un Nekhludov, ahuri, persuadé de son innocence et rongé de remords, qui veut réparer le mal causé. Malgré tous ses efforts, elle est condamnée au bagne en Sibérie. Et il décide de la suivre et de l'épouser tant il se sent coupable.
La Maslova, quant à elle, ne lui voue plus que de la haine et va se jouer de lui. Elle n'est que vengeance mais en fait elle avait son libre arbitre.
Durant tout le récit, nous découvrons deux personnages aveuglés l'un par son envie de réparer et l'autre par la vengeance . Tout le temps passé finira par leur apporter l'essentiel, La Maslova trouvera l'apaisement parmi les autres prisonniers. Nekhludov fera sa traversée du désert et réalisera son erreur, ce sera une résurrection qui lui permettra ce qu'il veut vraiment.
Une histoire contée par Tolstoï qui m'a parfois amusée par l'antagonisme de ces deux amants et aussi par l'incroyable certitude de Nekhludov qui pense tout réparer par le mariage sans même consulter La Maslova. Après il y a aussi la Russie du dix-neuvième siècle, le système pénitentiaire, les juges, les prisonniers de droit commun et le prisonniers politiques, le bagne, tout un système sclérosé.
Un roman que je conseille pour le style de l'auteur , la vision de la Russie et tous ses personnages. Un livre qui mérite autant d'être lu que « Guerre et paix » ou « Anna Karénine ».
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Dans Résurrection, Tolstoï mêle intrigue romanesque et réflexion philosophique, politique et métaphysique, à l'instar de Dostoïevski dans ses oeuvres. Résurrection est moins connu que les autres romans de Tolstoï mais c'est une oeuvre touchante, bouleversante, qui m'a laissé une forte impression et qui aide à mieux comprendre les causes historiques de la révolution de 1917, en Russie.

Nekhlioudov est juré à un procès d'Assises et découvre qu'il connaît une des accusées : Maslova. Elle est en fait Katioucha qui travaillait comme domestique chez ses tantes quand il était jeune homme. Ils sont tombés amoureux et Nekhlioudov a fait perdre à Katioucha sa virginité. Les convenances lui interdisaient de l'épouser car elle n'était qu'une servante. Il a donc fait ce que tout gentleman fait en la circonstance : il l'a dédommagée en lui donnant de l'argent et a ainsi fait d'elle une prostituée, gâchant leur amour pur et innocent au début. Katioucha s'est retrouvée enceinte, s'est fait renvoyer, a perdu l'enfant, mort à cause de la misère et sa descente aux enfers a commencé. Les hommes la poursuivaient de leurs assiduités car elle était belle, elle a fini par renoncer définitivement à sa vertu pour vendre son corps et vivre dans une maison close. Accusée de vol et de meurtre avec préméditation, elle est en réalité innocente et s'est retrouvée piégée par des domestiques cupides qui voulaient dépouiller son client.

Nekhlioudov se sent coupable de la chute de Katioucha. À cause d'une erreur de procédure, elle est condamnée par le jury qui ne répond pas correctement aux questions posées, bien qu'il soit persuadé de l'innocence de l'accusée. À partir de ce moment, Nekhlioudov va faire tout ce qu'il peut pour tenter de casser ce jugement, il promet à Katioucha de ne pas l'abandonner et va même jusqu'à la suivre en Sibérie. Il s'engage personnellement pour sauver à la fois Katioucha et lui-même, il cherche le chemin de la rédemption, le pardon pour les fautes qu'il a commises.

En Sibérie, il rencontre des détenus politiques emprisonnés pour leurs idées révolutionnaires. Il fait la distinction entre les révoltés contre un système injuste et les idéologues qu'il n'aime pas car ils sont arrogants et méprisent le peuple. Propriétaire terrien, il culpabilise. Inspiré par des théories socialistes, il pense que l'idée de justice est inconciliable avec la propriété du sol. Aussi décide-t-il d'avoir enfin le courage d'abandonner une partie de ses domaines aux paysans avant de suivre Katioucha en Sibérie. Les paysans sont méfiants et réticents car, selon eux, les grands propriétaires fonciers ne cherchent que leurs intérêts. Cette décision inhabituelle est, pour eux, incompréhensible.

Nekhlioudov apparaît ainsi comme un homme de bonne volonté, qui incarne, au-delà de l'idéologie, une certaine forme de bonté. Peut-être celle dont parle Vassili Grossman dans Vie et Destin, celle qui peut vaincre le mal au-delà des théories politiques et dogmatiques. Grâce à ses idées, Nekhlioudov essaie de faire le bien. Les idées ne le poussent pas au crime comme c'est le cas pour Raskolnikov, célèbre personnage tourmenté, inventé par Dostoïevski. J'ai bien aimé aussi le personnage de Katioucha qui rêve de pouvoir enfin avoir une vie normale auprès d'un homme qui éprouverait pour elle un amour sincère et non de la pitié ou de la culpabilité. Comme Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo, elle est victime d'une société qui ferme les yeux sur la misère atroce du peuple.

Ce souci du peuple, dans cette oeuvre, m'a beaucoup plu, ainsi que la satire virulente et subversive des institutions : judiciaires, religieuses, la propriété privée des terres aux mains de quelques grands propriétaires. Tolstoï effectue une peinture pertinente de la société russe de la fin du XIXe siècle, dont l'organisation injuste a mené à la révolution de 1917. Il réfléchit sur la notion de justice telle qu'elle est exercée par les hommes et s'oppose aux châtiments que les hommes font subir à leurs semblables en son nom. Qui sommes-nous pour juger nos semblables ? Dieu ? Sa critique féroce de l'Église en tant qu'institution ne l'empêche pas de revendiquer un retour aux sources de l'évangile qu'il cite en épigraphe et en conclusion. Nekhlioudov constate que, si les hommes suivaient davantage les enseignements du Christ (le sermon sur la montagne), il y aurait moins d'atrocités et de laideurs dans notre existence car elle serait régie par l'amour du prochain, même envers nos ennemis. le titre, Résurrection, est une référence explicite à Jésus-Christ et est aussi la renaissance de Nekhlioudov qui veut essayer de vivre enfin en harmonie avec ses principes, même si cette attitude doit le faire passer pour fou aux yeux de la société.

Même si j'ai une préférence pour la vision souvent pessimiste et les personnages tourmentés de Dostoïevski parce qu'ils annoncent, d'une façon plus réaliste selon moi, les grands drames du XXe siècle (deux guerres mondiales, les camps, les goulags, la mort des utopies), j'ai apprécié la vision idéaliste de Tolstoï dans ce livre qui laisse une place bienvenue, surtout de nos jours, pour la foi en l'homme, en sa capacité à changer les choses de manière positive. N'avons-nous pas encore besoin d'espoir, d'espérance qui effaceraient la désespérance et redonneraient foi en l'être humain et en l'avenir ? Ces problématiques me semblent toujours d'actualité.
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Après guerre et paix que je considère comme le meilleur roman russe jamais écrit , je croyais qu'Anna karénine était inégalé .mais ce jugement s'est évaporé en lisant résurrection . Un vrai chef d'oeuvre philosophique qui contient tout ;les espoirs , les maux , la joie , les espérances et les questions qu'avait posées tolstoï , mais surtout les repenses , bien qu'il soit considéré secondaire .
L'histoire de Maslova et de Nekhlioudov est tirée d'un fait réel qu'un juge avait conté a Tolstoï (l'histoire d'un jeune aristocrate et la domestique Rosalie) qui l'a si bien mise en roman . j'ajoute que tolstoï avait fait abandon des droits d'auteur de Résurrection pour alimenter le fonds d'émigration des doukhobors (lutteurs de l'esprit) en Colombie-Britannique, une secte religieuse chrétienne persécutée en Russie .

Maslova est reconnue coupable a tort pour un crime qu'elle n'a pas commis , Nekhioudov qui faisait partie du jury s'est senti doublement coupable envers elle.C'était lui le déclencheur de ces malheurs . Après avoir était un jeune homme aimant et plein de bon sens ce dernier s'est avili en s'engageant dans l'armée et en fréquentant les débauchés aristocrates , de retour a la ferme de ses tantes, il l'a mise en ceinte et l'abandonne .... une suite de malheurs commence et la mène a une maison de tolérance ou l'on accuse l'infortunée a tort .
Nekhlioudov jure de prouver son innocence ,et de se marier avec elle pour se racheter de ses fautes ...(une vraie histoire d'amour recommence entre les deux partie dont je vous laisse le soin d'en découvrir l'intrigue) .
En suivant Maslova pendant son séjour en prison . nekhlioudov (tolstoï) dépeint la vie misérable des détenus qui subissent l'arbitraire d'un pouvoir despotique représenté par un système judiciaire et pénitentiaire inhumain.De fil en aiguille nekhlioudov se sent une transformation totale en lui. il devient le défenseur des oppressés incarcérés et de tout les pauvres du système tsariste et abandonne ces terres au paysans pour alléger leurs souffrances.
Dans ce roman tolstoï réitère son mépris pour l'église qui manipule les préceptes du christ , de l'aristocratie et l'armée qui s'engraissent en maigrissant le pauvre russe et se pose toujours la même question :
suis-je fou?
En décrivant le marasme du peuple et la vie des détenus politiques tolstoï nous donne un aperçu sur la chute d'un régime (le tsarisme) qui ignorait les espérances du citoyen .j'ai eu l'impression de lire Soljenitsyne(le pavillon des cancéreux) qui décrivait le despotisme du communisme qui était devenu a travers le parti communiste un nouveau tsarisme.
En s'appuyant sur le dialogue entre Nekhlioudov , l'anglais et le vieux insurgé tolstoï pense que le mal engendre le mal , l'incarcération et l'arrogance augmentent le crime et la rebellion qui sont les signes de l'inutilité du système de gouvernance , le remède est l'amélioration de la situation économico-social.
Contrairement au grand inquisiteur de Dostoïevski (les frères Karamazov) qui reproche au christ son incompréhension de l'Âme humaine et qui trouve que ces préceptes sont un fardeau pour elle , Tolstoï trouve que le salut se trouve dans l'application des ces préceptes (le sermon sur la montagne) sans l'intermédiaire d'une institution religieuse , et c'est la grande réponse que cherchait tolstoï.









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Citations et extraits (105) Voir plus Ajouter une citation
Tout était clair. Clair que ce qui est tenu pour important et bon est insignifiant et vil, et que tout cet éclat, tout ce luxe, masquent des vices très anciens, familiers à tous, et qui non seulement ne sont pas châtiés, mais triomphent et se parent de toutes les perfections inventées par les hommes.
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Au cabaret il avait rencontré un serrurier, ivrogne, également sans travail depuis un certain temps déjà. Une nuit, complètement ivres, tous deux avaient brisé la serrure de cette remise et pris la première chose tombée sous leurs mains. On les avait arrêtés ; ils avouèrent. En prison, le serrurier mourut et maintenant le gamin était jugé comme un être dangereux dont il fallait préserver la société.
« Un être aussi dangereux que la condamnée d'hier », songeait Nekhlioudov en observant ce qui se passait devant lui. « Eux sont dangereux et nous ne le sommes pas ?… Et moi, un débauché, un être dissolu, un menteur, et nous tous, et tous ceux qui me connaissent tel que je suis et qui, loin de me mépriser, m'estiment ? […]
Il est certain que ce n'est pas un criminel de profession, mais un homme comme les autres et qui en est arrivé là seulement parce qu'il s'est trouvé placé dans les circonstances qui engendrent des individus semblables. Aussi est-il clair que, pour éliminer de tels êtres, on doit s'efforcer de supprimer les circonstances qui leur donnent naissance.
Or, que faisons-nous ? Nous nous saisissons au hasard d'un de ces malheureux, en sachant fort bien que des milliers d'autres restent en liberté. Nous les jetons en prison, où ils sont contraints soit à une oisiveté totale, soit à un travail malsain et stupide en compagnie de gens comme eux affaiblis et brisés par la vie. Puis, mêlés aux plus dépravés criminels, nous les déportons aux frais de l'État, du gouvernement de Moscou dans celui d'Irkoutsk.
Nous ne faisons rien pour supprimer les conditions qui créent de tels êtres. Bien plus, nous favorisons les établissements dans lesquels elles prennent naissance. Ces établissements […] sont bien connus de tout le monde. Non seulement nous ne les supprimons pas, mais nous les jugeons indispensables, nous les protégeons, nous veillons à leur bon fonctionnement.
Nous formons ainsi non pas un, mais des milliers de criminels, et lorsque nous en avons empoigné un, nous nous imaginons avoir fait quelque chose, avoir mis une barrière entre lui et nous. En le transportant du gouvernement de Moscou dans celui d'Irkoutsk, nous croyons avoir accompli notre devoir. »

Première partie, Chapitre XXXIV.
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Un des préjugés les plus répandus est celui qui consiste à croire que chaque homme possède en propre certaines qualités définies : qu'il y a des hommes bons ou mauvais, intelligents ou stupides, énergiques ou apathiques, et ainsi de suite. Les hommes ne sont pas faits ainsi. Nous pouvons dire d'un homme qu'il se montre plus souvent bon que méchant, plus souvent intelligent que stupide, plus souvent énergique qu'apathique ou inversement ; mais il serait faux d'affirmer d'un homme qu'il est bon ou intelligent, et d'un autre qu'il est méchant ou stupide. Et cependant c'est ainsi que nous jugeons. Cela est faux. Les hommes sont semblables aux rivières : toutes sont faites du même élément, mais elles sont tantôt étroites, tantôt rapides, tantôt larges ou paisibles, claires ou froides, troubles ou tièdes. Et les hommes sont ainsi. Chacun porte en soi le germe de toutes les qualités humaines et manifeste tantôt un côté de sa nature, tantôt l'autre, souvent même, en conservant sa nature intime, il apparaît tout différent de ce qu'il est.

Première partie, Chapitre LIX.
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« Si on posait le problème psychologique : comment faire pour que les gens de notre époque, les chrétiens, les humanitaires, les gens simplement bons accomplissent les plus horribles forfaits sans se sentir coupables, une seule solution serait possible : il faudrait créer ce qui existe actuellement. Il faudrait que ces gens fussent gouverneurs, officiers, directeurs, c'est-à-dire qu'ils fussent d'abord persuadés qu'il est une chose appelée service de l'État, qui permet de traiter les êtres comme des objets, sans aucun rapport humain et fraternel, et deuxièmement que ces gens au service de l'État fussent solidaires, de telle sorte que la responsabilité des conséquences de leurs actes ne retombe sur personne séparément. En dehors de ces conditions, il n'est pas possible, à notre époque, que s'accomplissent des forfaits comme j'en ai vus aujourd'hui. Tout vient de ce que les gens s'imaginent qu'il existe des circonstances dans lesquelles on peut traiter sans amour ses semblables : or ces circonstances n'existent pas. Avec les choses on peut se comporter sans amour : on peut couper des arbres, faire des briques, forger sans amour ; mais avec des êtres humains on ne peut se comporter sans amour, […] parce que l'amour réciproque des êtres humains est la loi fondamentale de la vie. […] Si tu ne sens pas d'amour pour les hommes, alors reste tranquille, pensait Nekhlioudov, occupe-toi de toi-même, d'objets, de ce que tu voudras, excepté des hommes. »

Deuxième partie, Chapitre XL.
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{Nouvelle dédicace spéciale à ceux qui, comme moi, ont des voisins musiciens très, très assidus…}
Nekhlioudov se fit conduire à la prison et se rendit directement à l'appartement du directeur. Il entendit, comme à sa première visite, les sons d'un mauvais piano. Ce n'était plus la rhapsodie, mais une étude de Clementi, exécutée avec une vigueur extraordinaire, avec la même précision et la même rapidité.
[…] Bientôt entra le directeur, le visage triste et las.
— Je vous en prie, que puis-je faire pour vous ?
— […] J'aimerais voir Maslova.
— Markova ? demanda le directeur, que la musique avait empêché d'entendre.
— Maslova.
— Oui, oui, je sais !
Le directeur s'approcha de la porte derrière laquelle s'entendaient les roulades de Clementi.
— Maroussia, arrête-toi au moins un peu, dit-il d'une voix qui trahissait que cette musique était la croix de sa vie. On ne s'entend pas.
Le piano se tut. Quelqu'un marcha de mauvaise humeur et entrouvrit la porte du salon pour y jeter un coup d'œil.
Comme soulagé par l'arrêt de la musique, le directeur alluma une grosse cigarette de tabac doux. […]
Il n'avait pas encore achevé de revêtir le manteau que lui présentait une femme de chambre au bandeau sur l'œil que déjà résonnaient les roulades de Clementi.
— Elle était au Conservatoire, mais il y a eu là-bas du désordre. Elle a de grandes dispositions, fit le directeur en descendant l'escalier. Elle veut jouer dans les concerts. […] Évidemment, le talent doit être développé, il ne faut pas le laisser perdre. Mais dans un petit appartement comme le nôtre, c'est souvent bien pénible.

Première partie, Chapitre LI.
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