Son exil s’étira sur des chemins sans fin, peuplés de gens que l’Histoire avait délogés de leurs rôles tranquilles. Le maçon cheminait avec le malade mental, le mendiant avec le paysan, l’honnête homme avec le taulard en cavale. La guerre rebattait les cartes, abattait les destins, rabattait les morgues solidement ancrées. Dans cette fraternité de la faim et de la fatigue, on s’habituait à tout, au pire essentiellement. Les orphelins regardaient les cadavres de soldats, français ou indigènes, dormir le nez dans la verdure, au trou rouge sur la nuque. Parfois, quand le sommeil l’avait assommée, elle se réveillait seule et dépouillée.
On ne connaît jamais vraiment les gens…
Même si elle a gardé la cuisse légère malgré le passage devant monsieur le curé, ce genre de pépée sait ménager son cocu. Pas le genre à laisser tomber la poule aux œufs d’or, même pour un apache à la gueule d’ange. Si elle n’a pas donné signe de vie prochainement, il y a fort à parier qu’elle l’a perdue.
Son exil s’étira sur des chemins sans fin, peuplés de gens que l’Histoire avait délogés de leurs rôles tranquilles.
« Monsieur d'Eyquem... commença la voix grave.
— Appelez-moi Pierre. Tous les gens qui veulent me tuer m'appellent Pierre. La sympathie est à l'homicide ce que l'amour éternel est au mariage : un supplément non négligeable.
Tout doux, maître. Vous prendrez la file d'attente de mes ennemis plus tard.
Le Maréchal, Dieu le bénisse, a eu le génie de créer cette retraite pour nous, les petites gens. Vous croyez qu’ils y pensent, ces terroristes, aux pauvres vieux ? Tu parles ! Tous ces cocos, ces francs-maçons, ces Juifs. Je te mettrai toute cette clique en rang devant un mur et pan pan !
Le lieu sentait la déliquescence programmée. « Simplet » n’amusait les autorités que dans la chanson de Fernandel en cette année 42. Les fous, les dégénérés, les idiots du village dérangeaient les apologistes du Renouveau National. Alors, on les faisait crever à petit feu à défaut d’une balle dans la tête. Pour le moment.
Les Allemands, en peuple méthodique, avaient eu la présence d’esprit d’apporter un nouveau mot adapté à la nouvelle vie qu’ils imposaient aux Français. Ainsi, le succédané fut prié de céder la place à l’ersatz et le café à une poudre infâme de noyaux de cerises pilées ; de l’avis général, la vie était devenue un démentiel ersatz après la Débâcle.
Il faut bien des couillons pour aimer les monstres.
Le feu prenait ses aises, comme un locataire enthousiaste.
Elle referma derrière elle. Dans la rue, un chat se léchait la patte. Les flammes se pressaient aux fenêtres pour la voir s'éloigner sans se retourner.