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Critique de berni_29


Dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, Michel Tournier nous invite à visiter ou revisiter le célèbre mythe littéraire de Robinson Crusoé, créé par Daniel Defoe, publié en 1719 et que j'avais lu il y a très longtemps.
C'est un mythe intemporel, inaltérable, mais ici vous l'aurez compris rien qu'au titre, deux cent cinquante ans après l'oeuvre originelle, Michel Tournier s'intéresse davantage au personnage de Vendredi...
Je vous fais grâce des premières scènes du naufrage, les premiers jours sur l'île, l'apprentissage d'une autre existence par Robinson, puis la rencontre de celui qu'il appellera Vendredi et les raisons pour lesquelles il lui choisit ce nom. Oh ben si, tiens, regardons un peu ce que Robinson écrit dans son journal à ce propos.
« Il fallait trouver un nom au nouveau venu. Je ne voulais pas lui donner un nom de chrétien avant qu'il ait mérité cette dignité. Un sauvage n'est pas un être humain à part entière. Je ne pouvais pas non plus décemment lui imposer un nom de chose, encore que c'eût été peut-être la solution de bon sens. Je crois avoir résolu assez élégamment ce dilemme en lui donnant le nom du jour de la semaine où je l'ai sauvé : Vendredi. Ce n'est ni un nom de personne, ni un nom commun, c'est à mi-chemin entre les deux, celui d'une entité à demi vivante, à demi abstraite, fortement marquée par son caractère temporel, fortuit et comme épisodique... »
On lit ici toute l'arrogance et le mépris de Robinson Crusoé, qui se définit sur son île comme une sorte de garant de la civilisation qu'il représente, à l'égard du « bon sauvage », mais en contrepoint on devine aussi toute l'ironie modante de Michel Tournier à l'encontre du comportement des hommes soi-disant civilisés...
À travers de très belles pages, Michel Tournier nous invite à une magnifique ode à l'altérité. C'est dans l'apprentissage de cette solitude que Robinson cerne à jamais en creux l'altérité qui imprègne l'humanité.
C'est aussi dans cet apprentissage qu'il faut désapprendre des gestes séculaires où l'altérité pesait comme une règle de vie.
Roman de l'apprentissage, de la métamorphose, roman de la transformation de Robinson. Vendredi ne serait rien sans Robinson, Robinson ne serait rien sans Vendredi, c'est l'altérité de l'un qui transforme l'autre dans une île qui est le creuset essentiel de ce récit.
J'ai aimé cette manière qu'a Michel Tournier de féminiser cette île, de lui donner un prénom de femme, Sperenza, de la sexualiser, puisque désormais Robinson est condamné à une forme de solitude extrême, dont cependant tout homme condamné à une telle réclusion solitaire et doté d'un poignet agile peut s'en contenter n'est-ce pas ? Mais rien ne remplacera l'être aimé. Et l'île devient cet être aimé, désiré, chéri...
C'est la promesse sauvage d'une île, immense et vierge... C'est la promesse d'une solitude, comme une épouse implacable. L'intimité la plus secrète de l'île devient un désir. Et l'île devient peu à peu une personne, d'une nature indiscutablement féminine, prête à répondre aux besoins nouveaux du coeur et de la chair de Robinson... Il s'éprend de cette île jusqu'à lui faire l'amour dans d'étreintes voluptueuses...
Et quand Vendredi débarque dans la vie de Robinson, c'est presque comme un intrus qui ferait irruption dans la vie intime d'un couple. Cela dit, pour Robinson c'est l'occasion rêvée de mettre en pratique la charte qu'il a rédigé quelques temps après son arrivée sur l'île ainsi que son code pénal particulier.
Vendredi devient alors autrui... C'est lui qui va achever la métamorphose commencée par Robinson, lui en révéler le sens. Vendredi est l'autrui qui dérange, donc totalement utile et nécessaire dans la métamorphose de Robinson, dans cette altérité retrouvée.
Michel Tournier fait de Vendredi un passeur et c'est beau.
L'île Speranza en deviendrait presque une amante délaissée, abandonnée, sauf qu'à la différence du Robinson de Daniel Defoe, celui de Michel Tournier voudra à jamais se fondre dans la plénitude solaire de son amante retrouvée.
Auteur d'un roman initiatique, Michel Tournier m'a invité dans cette inspiration magnifique à regarder l'humanité d'une tout autre manière.
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