Quelle jolie idée ont eue les éditions de Minuit ! Cet opuscule a tout pour m'attirer.
Je suis une fidèle de leurs publications, j'admire l'auteur, Monet est un de mes peintres préférés et j'irais bien m'installer à Giverny.
Le titre est assez intrigant.
Jean-Philippe Toussaint propose trente pages. C'est peu et c'est beaucoup à la fois. Je m'explique. C'est peu pour un livre, c'est vrai, mais, pour un seul instant, c'est énorme.
Quelle est cette contrainte que s'impose l'auteur ? : « Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l'atelier dans le jour naissant encore gris. » Comment traduire en mots un si bref laps de temps ?
Jean-Philippe Toussaint répète cette phrase comme un mantra à chaque alinéa. Et chaque fois, ce sera un jour différent, car, si le début reste identique, le complément, lui, varie.
Monet est déjà âgé. La guerre se termine. Il peint les grands panneaux des « Nymphéas » qui couvriront les murs de l'Orangerie et, comme l'artiste pose délicatement de la pointe du pinceau des taches de peinture dont les nuances varient à l'infini, l'écrivain pose, de la pointe de son stylo, les mots qui traduiront l'oeuvre picturale. C'est un miracle de délicatesse, de précision, de poésie.
Les sens sont en éveil : « l'aube est fraîche, l'air vif picote les joues » ; « une odeur de plâtre, de colle humide, de tabac froid et d'huile de lin », « partout des bleus, des bleus mêlés de rose, des bleus mauves et des bleus plus profonds, des bleus de cobalt, des bleus nocturnes » ; « il dépose sur une table basse la tasse de café qu'il a emportée avec lui » ; « quelques pépiements d'oiseaux dans le jardin où les arbres sont immobiles comme le silence ».
Peu de mots suffisent pour nous faire visualiser l'atelier : « Dans quelques jarres, en bouquet, des éclosions de pinceaux » ; « le long des murs, ce ne sont que paysages d'eau et de lumière » ou le jardin : « un frémissement dans les herbes du rivage, un souffle dans les branches, une fugitive vibration de lumière ».
Les phrases jouent une délicate mélodie dont les allitérations nous bercent : « des couleurs mouillées d'huile dans leur matérialité moelleuse, c'est la vie même, dans ses infimes variations, métamorphosée en peinture. »
En trente pages à peine, nous traverserons toute une partie de la vie de Monet. C'est la Grand guerre « qui gronde aux portes de Giverny », c'est l'armistice, c'est la discussion avec Clémenceau pour décider de l'agencement des toiles, c'est l'attaque de la cataracte « le brouillard commence à envahir son champ de vision », c'est l'opération, c'est, enfin, l'immortalité de l'artiste. « Son esprit s'est dissous dans la peinture ».
Ce petit livre est un bijou, une merveille. Une parenthèse enchantée dans les nouvelles affreuses dont on charge notre quotidien. Pour ce moment de grâce que vous m'avez offert,
Monsieur Toussaint, j'ai envie de vous dire Merci.