Perle de Rubis

Maintenant que tout contact avec la Source était coupé, il jouissait de sa véritable nature de prédateur nocturne et s'en donnait à cœur joie : le crépuscule était son heure de réveil, l'aube celle de son coucher, et entre deux, il partait chasser, tuant par jeu, puisque les pilules alimentaires le rassasiait entièrement. Parada était, bien sûr, obligé d'être accompagné d'un otage à tout instant pour ne pas risquer d'être pris par quelque force ennemie qui l'observerait ; alors pour être à la fois accompagné mais aussi libre de ses mouvements, il fixait à son dos le plus jeune enfant nyphien, bâillonné, cela allait de soit, ses pleurs auraient effrayé ses proies.

Parada, bien que « grand prédateur » d'après ses propres dires, s'équipait de petits harpons pour travailler ses victimes au corps avant de les achever. Son vrai plaisir était là.
Ce soir-là, il avait harponné à quatre reprises un panglon et pistait le sang qu'il semait et remonta jusqu'à la grotte où l'animal s'était réfugié. Il faisait aussi noir à l'extérieur que dans la grotte puisqu'on était entré dans une phase de nouvelle lune, les yeux de Parada n'eurent aucun temps d'adaptation pour discerner le panglon essoufflé, couché sur le flanc et dans son propre sang, qui regardait de ses yeux suppliants son bourreau approcher. Parada affichait un sourire extatique, avoir une créature à sa merci et lire dans ses yeux l'espoir que jusqu'à la fin il pourrait être épargné formaient l'apothéose du spectacle.

Il n'a sûrement jamais existé mais ce n'est pas grave. Les jhobljons, enfin, l'espèce civilisée, est carnivore et la légende raconte que le premier jhobljon doué de raison, nommé River, horrifié de découvrir qu'il devait tuer pour se nourrir et vivre, se donna la mort, ne supportant pas sa condition. Le deuxième jhobljon doué de raison, Joaquin, plutôt que de se suicider, se jura de mettre un terme à la malédiction de son espèce et d'éduquer les siens dans cette voie. Aujourd'hui et depuis des millénaires, les jhobljons n'ont besoin de tuer personne pour vivre, même s'ils sont dotés de crocs et de griffes acérées. Je me souviens de cette histoire parce que je l'avais citée en exemple à Misha. S'ils ont pu le faire, toutes les espèces de la galaxie le peuvent.

La foule réunie était encore plus dense, les gens se pressaient les uns contre les autres, se grandissaient de la hauteur de leurs pieds tendus, tiraient le cou et levaient le menton, s'appuyaient parfois sur l'épaule d'un voisin. Les causeries, les débats étaient allés bon train, Zélée n'y avait pas prêté attention, ça ne changerait rien ; Zéninuma, elle, les avait tous écoutés, autant que possible en direct avec toutes les divisions que son esprit était capable d'accomplir et le roi Idlée avait été mêlé à l'affaire, il avait dû écouter ceux que la reine n'avaient pu suivre.

Les troupes se déversèrent dans cette campagne désolée, aux cours d'eau noirs et sans vie, aux rives garnies des mêmes plantes invasives, où le vent soufflait une odeur pestilentielle de purin, où il suffisait de suivre les nuées d'insectes nécrophages qui se repaissaient dans les charniers à ciel ouvert pour trouver les élevages.