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Critique de Nastasia-B


Les romans de chevalerie, le Moyen-âge, la geste qui s'y rapporte, bref, tout cela, ce gros ensemble, aussi vaste qu'hétéroclite, tout le monde connaît ou croit connaître. Mais le terme même de « Moyen-âge », exactement comme celui d' « Ancien régime » prouve assez que c'est une vision a posteriori qui nous le fait désigner tel.

Moyen-âge, mais quel Moyen-âge ? Charlemagne et la Chanson de Roland ? Les croisades ? Les rois fainéants ? Les manoeuvres de Louis XI ? La guerre de Cent ans ? Philippe de Commynes ? le roman de Renart ? le roman de la Rose ?

Notons dès à présent que « pour l'époque », posséder un nom d'auteur est déjà presque une forme de curiosité, à tout le moins de singularité : Chrétien de Troyes. Bon, il est vrai que passé l'examen de son nom, on ne connaît quasiment rien de lui, sauf, sauf, sauf...

... son commanditaire ! Et c'est une femme, mesdames, et pas n'importe quelle femme, morbleu, la propre fille du roi de France et de la très sulfureuse Aliénor d'Aquitaine ! Eh oui, rien moins que cela !

Comprendra-t-on mieux, alors, que le rôle de la reine, Guenièvre, est infiniment, incomparablement, incommensurablement plus important que celui du roi, quand bien même ledit roi fût le roi Arthur en personne ?

Bien plus que l'histoire, qui, avouons-le, est jouée d'avance et pas d'un intérêt " suspensatique " des plus ébourrifants : en gros, on sait d'emblée que le plus beau, le plus fort, le plus vaillant, c'est Lancelot et les autres n'ont qu'à bien se tenir. Bien sûr l'auteur essaie bien chichement de nous faire croire que l'adversaire, Méléagant, a quelque chance de le battre, mais sans en faire non plus un Hector. Donc on se doute bien que l'Achille de chez nous va lui trucider sa petite gueule rapidos à la fin, pas besoin d'en faire mystère, ça fait des siècles qu'on le sait.

Non, l'intérêt, selon moi, c'est finalement ce que nous apprend le livre de sa commanditaire. « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. » Donc, notre brave Chrétien de Troyes écrit exactement le genre d'histoire que Marie de France, devenue Marie de Champagne, a envie d'entendre.

Et ce qu'elle a envie d'entendre, ce ne sont pas des héroïnes molasses, des reines soumises, des timides, des prudes, des trouillardes. Non, c'est une reine qui fait des cornes au roi longues comme ça ! Qui couche avec qui elle en a envie ; des jeunes filles qui usent de leurs charmes et tendent des pièges, pour jauger et juger de la fiabilité des hommes.

Ce sont aussi des femmes vengeresses et impitoyables, qui font trancher des têtes et refusent la clémence, mais qui, une fois séduites, une fois en confiance, tiennent leurs promesses et n'en gardent pas en réserve.

Entre-nous soit dit, entre cette fraîcheur, cette verdeur, cette liberté, cet entrain des femmes, et le carcan religieux, social, sociétal dont accouchera l'Ancien régime à l'époque de Madame de Lafayette et de sa fameuse Princesse de Clèves, ou bien encore le corsetage serré de la femme (au propre comme au figuré) au XIXème siècle, on se dit que l'obscurantisme n'est peut-être pas tant là où on le dit.

Souvenons-nous que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs et, qu'a posteriori, on nous assène toujours que le maintenant des vainqueurs est toujours mieux que l'avant des vaincus, sans quoi, ce serait reconnaître que le vainqueur n'est peut-être pas si bien que ça.

Ce qui est vrai de la condition des femmes, tel que je l'exprime ici, l'est aussi de beaucoup d'autres variables : la liberté d'entreprendre, par exemple, de construire ou d'édifier, la justice féodale, l'égalité ou l'inégalité devant l'impôt, ce genre de choses. Un seigneur pouvait-il absolument tout se permettre vis-à-vis de ses vassaux ? Pouvait-il négliger la justice sur ses terres s'il escomptait obtenir des revenus ? etc., etc. Tout n'est certainement pas aussi univoque ni aussi simplement caricatural que l'époque actuelle veut bien le dire de façon générale à qui ne prend pas la peine de s'y appesantir.

Que nous dit encore ce roman à propos de son époque ? le pouvoir, la puissance de la parole donnée. À un moment, Méléagant qui a fait prisonnier Lancelot constate que ce dernier s'est échappé. Or, Lancelot a promis de revenir se constituer prisonnier sitôt le tournoi achevé. À aucun moment Méléagant ne doute du fait que Lancelot reviendra.

Comme c'est étrange, n'est-ce pas ? Quel prisonnier, à l'heure actuelle, ayant soudoyé son geôlier (en l'occurrence sa geôlière) pour pouvoir se faire la malle, s'engagerait à revenir se faire mette en taule, juste parce qu'il a donné sa parole ?

Le grand expert du droit du travail Alain Supiot souligne cette incroyable évolution du droit et des mentalités. En effet, à l'heure actuelle, un employeur ne raisonne qu'en termes comptables : « Combien cela me coûte de trahir ma parole ? Bon ok, je paie, et je me sens la conscience très libre, puisque j'ai payé, de rompre abusivement tel ou tel contrat, d'enfreindre telle ou telle clause. »

En somme, un roman pas désagréable à lire, pas captivant non plus, qui vaut plus, selon moi, pour ce qu'il nous apprend de l'époque et des mentalités que pour son scénario très hautement prédictible. Mais bien entendu, ce n'est que mon avis, qui est un peu charrette, c'est-à-dire, fort peu de chose.
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