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Critique de motspourmots


J'attendais ce livre avec impatience tant le précédent L'invention de nos vies m'avait impressionnée, annonçant un tournant passionnant dans l'écriture de Karine Tuil. Nous y voilà donc, trois ans plus tard, et le résultat est époustouflant. Une puissance narrative qui vous happe dès les premières pages pour ne plus vous lâcher, une tension parfaitement maîtrisée du début à la fin et surtout, un récit tellement ancré dans le 21ème siècle qu'il risque d'en devenir un témoignage de référence pour les générations à venir.

"J'écris parce que la vie est incompréhensible", dit Marion Decker, l'un des quatre personnages principaux du roman. le moins que l'on puisse dire c'est que Karine Tuil nous la rend compréhensible, la vie. Elle nous brosse un tableau à la fois juste, sans concession et terriblement lucide de notre société en se faufilant dans les arcanes du pouvoir, au plus près de ceux qui prennent les décisions. Une société où l'image prédomine, où la communication est reine, où le pouvoir se gagne et se perd en un rien de temps sur le terrain médiatique, où les apparences comptent plus que le mérite. Mondialisation, géopolitique, jeux de pouvoir... Ses héros n'ont pas forcément toutes les cartes de leur destin en mains.

Mais L'insouciance ne serait pas un livre de Karine Tuil si la question de l'identité n'était pas au centre. Chacun des personnages a son problème d'identité, d'appartenance et c'est une source de vulnérabilité. François Vély, le puissant patron du CAC 40 à qui tout semble réussir se voit soudain ramené à ses origines juives, lui qui les a toujours volontairement ignorées. Osman Diboula, le fils d'immigrés parvenu à se hisser dans les coulisses du pouvoir en tant que conseiller à l'Élysée s'aperçoit qu'il a peut-être servi de caution "diversité" dans un milieu qui le renvoie sans cesse à ses origines. Romain Roller, le militaire engagé sur les théâtres d'opérations les plus dangereux, se demande, de retour d'Afghanistan, à qui profitent ces guerres et si elles valent les sacrifices humains qu'elles induisent. Quant à Marion Decker, journaliste-écrivain, dont le mariage avec François Vély est assombri par un terrible drame, elle peine à trouver sa place dans un monde auquel ses origines sociales ne l'ont pas préparée et qu'elle cherche à comprendre. Origines ethniques, origines sociales, culture, éducation, appartenances religieuses... pas facile de se forger sa propre identité quand tout nous renvoie à ce que nous sommes censé être.

"Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines, quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité."

La violence est partout, sur les terrains de guerre, bien sûr (quelles pages sur la condition de militaire, sur les réalités du terrain... !) mais surtout dans les rapports sociaux qui régissent le quotidien. Dans les relations intimes comme dans les relations professionnelles. Dans le lynchage médiatique qui peut jaillir d'une simple étincelle. C'est ce que l'auteure nous montre de façon magistrale en démontant les mécanismes qui mènent aux pires excès. Et en nous rappelant que l'on n'échappe pas à ses origines, à son histoire.

La société que nous dépeint Karine Tuil, c'est la nôtre. Complexe, violente, hypocrite, clanique. Derrière les façades qui abritent les lieux de pouvoir, par-delà les discours qui prônent l'intégration et la tolérance, la réalité est toute autre. de quoi donner à réfléchir.

Mais je vous rassure, L'insouciance est un vrai page turner qui puise sa force dans un contexte très documenté et captive par sa structure narrative et ses personnages taillés à la serpe. L'auteure tisse une toile d'une incroyable densité, mêlant histoire d'amour et drame social, contexte politique et destins individuels. On plonge dans ce roman avec un plaisir croissant au fil des pages, on vibre, on se révolte, on s'attache aussi... On veut croire que François Vély est dans le vrai lorsqu'il affirme "J'ai toujours cru en la capacité de l'homme à inventer sa vie, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que tout est figé, imposé". Tout en sachant que ce n'est pas gagné.

Un grand roman, c'est souvent celui qui, à travers le prisme romanesque permet de mieux voir le monde et de le questionner. Un grand roman c'est celui qui vous happe, vous tient en apnée, vous fait lever plus tôt pour retrouver plus vite les personnages quittés à regret la veille. Et vous marque, durablement. Pas de doute, L'insouciance est un grand roman.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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