C'est le deuxième roman de
Karine Tuil que je lis et j'en ressors, encore une fois, époustouflée par son sens aigu de la psychologie et par sa façon très juste de prendre le pouls de la société.
La société ? D'abord les privilégiés, ceux qui officient entre eux, qui habitent dans des appartements de très haut standing, qui ne savent pas ce que c'est de prendre le métro : « Tu vis dans ton monde, un monde qui se limite à quelques rues dans trois arrondissements parisiens ou artères new-yorkaises, et c'est pourquoi tu n'as toujours pas compris que tu pouvais blesser des gens »
François Vély (dont le grand-père a changé « Lévy » en « Vély » pour ne plus être stigmatisé), un grand patron, baigne dans ce milieu. Il a rendu plusieurs femmes malheureuses et ne s'en soucie guère, ou du moins ne veut-il pas se l'avouer.
Et puis il y a ceux qui font partie des privilégiés tout simplement parce qu'ils côtoient les hommes politiques les plus influents – nous parlons ici du Président - . Osman et sa compagne en font partie, alors qu'Osman vient de Clichy-sous-bois, pas spécialement un quartier huppé, n'est-ce pas !
Mais il est le conseiller du président.
Et enfin il y a les durs, les forts, les héros, les militaires, dont Romain Roller, qui revient d'Afghanistan et des combats inhumains pour « le saut dans le vide, se familiariser avec les insomnies, l'ennui, la grande angoisse de l'inactivité ».
N'oublions pas la jeune, belle, vibrante journaliste-écrivaine : Marion, qui s'est construite à force de volonté et de pensée libre.
Ces quelques personnes vont être dévastées par des annonces, par des rejets, des stigmatisations. La plume de Karin
Tuil s'en donne à coeur joie pour décortiquer leurs sentiments : effroi, humiliation, impuissance, tout y passe de façon magistrale. « Les blessures d'humiliation sont les pires. Pourtant, on n'en meurt pas ».
Nos personnages se rencontreront, se lieront, se repousseront, se jalouseront en une partition impitoyable et juste, qui reflète bien la vie telle qu'elle est chez ces gens-là. Et si la société s'en mêle, avec ses fameux réseaux, ses photos copiées, ses éructations violentes, c'est le carnage.
Magnifique ! Leçon de vie, et quelles vies ! Clivages, racisme, sensation d'être une victime…
Noirs, Blancs, Juifs, Musulmans, intellectuels, riches, pauvres, beaux quartiers contre banlieues et cités…quelles vies, quelle compétition perpétuelle, quelle jalousie, quel paternalisme, quel dégoût, quel mépris !
« Tu t'es retrouvé au coeur d'une rivalité malsaine que j'appelle la compétition des peines »
Je terminerai par une phrase qui, pour moi, résume tout le propos de ce roman :
« Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu'on fasse. Essaie de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité ».
Karine Tuil, au coeur de l'Homme, au coeur de la Société. J'adore !