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Critique de Soundandfury


Avis chrono'

Un roman qui entérine une fois pour toute mon amour pour la littérature étasunienne! Une saga familiale d'une grande qualité littéraire, tendre et réaliste, qui aborde avec l'humour et la distance nécessaire le sujet de la polygamie telle que pratiquée par les fondamentalistes américains. Pour autant, l'intrigue ne se résume pas à cela... Une fois n'est pas coutume, je vous invite à lire l'intégralité de mon avis!

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Existe-t-il des branches distinctes au sein de la littérature U.S.? Dont l'une porterait un écriteau "ici, tout ce que Sound aime" ? Je ne suis pourtant pas une adepte de la société américaine, mais dès qu'on quitte les grandes métropoles pour l'Ouest, je fonds. Je pense par exemple à Blessés de P. Everett, aux Nouvelles histoires du Wyoming, d'A. Proulx et maintenant au Polygame solitaire. Trois coups de coeur.
Nevada, Montana, Wyoming, Utah... J'ai vérifié sur une carte, c'est tout dans le même coin! Impossible d'y voir un hasard.

Brady Udall, c'est l'auteur du Destin miraculeux d'Edgar Mint, que je n'ai toujours pas lu, mais c'est tout comme. Depuis le temps qu'il est dans ma wish-list! On s'aime déjà profondément lui et moi, comme ça, à l'instinct, avant même de se connaître vraiment.

Le polygame solitaire, c'est Golden, le père d'une famille nombreuse, quatre femmes et vingt-huit enfants. Si j'ai bien compris, c'est une branche particulière des Mormons, qui pratique la polygamie, en dehors des lois américaines, bien sûr.
Ce que j'ai aimé, c'est que les pistes sont suffisamment brouillées pour qu'il me soit impossible de porter un jugement sur ce mode de vie, ou même de clairement savoir si l'idée était d'en donner une image positive ou négative. (Mais n'est ce pas cela, justement, le réalisme?)

Ce n'est surtout pas une ode à l'Amour, dégoulinante de religiosité. C'est acide et critique. Ce n'est pas non plus une défense de la toute puissance masculine et encore moins un récit graveleux dans lequel le mâle de la maison enchaîne les relations sexuelles en passant d'une chambre à l'autre.

A l'inverse, il ne s'agit pas non plus de célèbrer l'abandon de soi à la volonté divine et de s'appitoyer "Oh le pauvre mari malheureux de quatre femme, comme il souffre!".

C'est quelque chose entre les deux et j'aime que l'on évite à la fois le prosélytisme et le voyeurisme.

Golden n'est pas heureux, comme le titre le laisse entendre. Il erre un peu au sein de sa famille comme un fantôme. Il ne parvient pas à se partager entre tous et les disputes et les dissenssions sont légion. C'est un personnage passif, sans consistance, sans volonté.

Il n'est pas à l'honneur, dans le roman, et partage d'ailleurs la vedette avec quelques unes de ses femmes ou certains de ses enfants. Plusieurs chapitres sont décentrés et s'attachent à eux, aussi bien dans leur présent que dans leur passé. Et là encore, j'ai adoré cette façon (qui pour une fois ne m'a pas semblée artificielle) de nous promener dans les souvenirs des personnages, pour comprendre comment ils se sont formés, comment ils se sont retrouvés intégrés à cette famille hors-normes.

Tellement de thèmes sont abordés que je me sens incapable de les citer tous. Pourtant, aucun n'est balancé comme ça, n'importe comment. Tout est parfaitement cohérent, rattaché à l'intrigue principale.

Par exemple, l'un des thèmes secondaire les plus importants est celui des essais atomiques qui ont lieu dans le désert proche. C'est un motif qui traverse toute l'oeuvre, en semant ici ou là ses germes délétères: maladies, malformations, fausses-couches... Très bien fait, très touchant. Et pas "écolo à deux balles". Si seulement tout pouvait être dénoncé avec une telle diplomatie...

Il y a aussi le thème du deuil, particulièrement celui qui suit la mort d'un enfant.

Et puis Rusty, le garçon terrible de la famille, l'un des seuls qui n'est pas pour nous un numéro alors que paradoxalement il est le symbole dans le roman de l'enfant invisible qui ne reçoit pas assez d'amour et tente en multipliant les bêtises de se démarquer de ses trop nombreux frères et soeurs, sans y parvenir.

Le sexe aussi, s'il n'est que peu pratiqué dans le récit, est au coeur des interrogations. Avec l'amour.

Ajoutez encore des maisons pleines de gosses incontrôlables, des mexicains déjantés, un bordel, des explosifs, une autruche et des tonnes de sentiments très variés...

Ce roman est aussi triste que joyeux, rassurez-vous (j'ai déjà dit que c'était parfaitement équilibré, non?). La scène de la visite aux impôts, ou Golden doit justifier à une employée horrifiée que non, il n'y a pas d'erreur dans les dates de naissances de ses enfants, il y a en a bien trois de nés le même mois, mais pas le même jour... c'est amusant comme tout.

"Elle lui jeta un regard par dessus ses lunettes tandis que la vérité semblait se faire jour en elle: il n'était pas un de ces salauds qui ont eu seize enfants de femmes différentes et qui ont le culot inouï de les déclarer comme personnes à charge. Il était marié à toutes ces femmes. [...] C'était un de ces polygames!"

On devine, même si l'auteur ne s'y attarde pas, les relations difficiles de cette famille avec le reste de la société "normale", dans les précautions que prennent les enfants à l'école pour ne pas trop en dire sur leurs parents, ou Golden lui-même dans ses relations professionnelles.

J'ai été touchée par ce roman parce qu'il traite d'un thème qui m'est cher, celui de l'équilibre à trouver. C'est à mon sens un bel hommage aux concessions, aux petites organisations du quotidien, à la fragilité des relations humaines. Qu'est ce que c'est "aimer"? Comment aimer? Combien aimer?

La plus belle image, c'est Rusty qui la donne:

"Les anniversaires, comme tout au sein de cette famille, étaient une affaire compliquée. Ici, on était jamais libre. On aurait cru qu'ils étaient tous liés par un fil invisible, pensait Rusty, et quand une personne voulait faire une chose ou aller quelque part, elle tirait tout le monde de son côté, mais une autre essayait de faire autre chose ou d'aller autre part, et ainsi de suite jusqu'à ce que tout le monde s'emmêle, trébuche et se débatte comme une bande de singes dans un filet."

Golden ne sait pas plus comment gérer cette multitude d'identités distinctes et préfère ne plus essayer.

Conclusion:

Grand auteur et grand roman! Comme tout livre d'importance, il a soulevé en moi quantité de questions, auxquelles je n'ai pas encore vraiment répondu. La principale étant de savoir si ce mode de vie est considéré comme sectaire et si le roman en fait l'apologie.

Dernière qualité, non des moindres, c'est un énorme livre! 735 pages. Qu'est ce que ça fait du bien de lire des gros livres parfois. Ce qu'on perd en confort de lecture, on le regagne dix fois, puisqu'on peut faire durer le plaisir.

Est-ce que ça tente quelqu'un une pétition: Ne publions plus de livres de moins de 500 pages??

Lien : http://talememore.hautetfort..
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