Kentarô Ueno nous livre dans ce manga son histoire personnelle, poignante. le récit de la mort subite de sa femme, et de son désarroi pendant l'année qui a suivi. Sa femme était malade chronique et dépressive depuis une dizaine d'années, sous traitement, et avait quelques problèmes avec l'alcool. Un jour, tellement occupé à travailler à l'étage de la maison à son oeuvre de mangaka, il ne se rend pas compte que sa femme est tombée inanimée face contre sol, au rez de chaussée. C'est d'abord l'incrédulité et l'urgence qui le guide, il agit mécaniquement pour prévenir les secours et se rendre à l'hôpital avec sa fille encore toute jeune, qui fait preuve d'un calme remarquable, d'une grande maturité. Il va nous décrire dans le détail cette phase des formalités d'usage, après qu'on lui eût annoncé la mort de Kiho, puis l'organisation de la crémation...Quelques jours après, toutes les démarches administratives étant achevées, le vide se fait évident et prend tout son terrible sens. La douleur est immense. Elle reviendra par vagues récurrentes, quand un objet, une photo, une vidéo sont autant de souvenirs lui rappelant cette vie d'avant avec la défunte. Très tôt, il propose à son éditeur d'écrire sur ce drame personnel. Finalement, il le fera avec le recul de quelques années, lorsque l'émotion sera atténuée, nous livrant ce témoignage fort.
Ce manga autobiographique est presque un documentaire sur les démarches que chacun devra entreprendre un jour pour un membre de sa famille. C'est au départ un peu déstabilisant, très descriptif, on a l'impression que ce sera bien long et peut-être saturé d'émotivité à fleur de peau. Mais finalement, cela ne traîne pas tant en longueur, cela reste sobre, et le propos nous apporte beaucoup, tant sur les us et coutumes japonais dans cette situation, que par les thématiques d'ordre plus philosophique, qui ne sont pas affichées mais se devinent en filigrane.
Car c'est un récit qui fait réfléchir sur la notion de culpabilité (pouvait-il en étant plus attentif en ce triste jour la sauver ?), sur la nécessité de profiter à plein du présent (on ne devrait jamais croire qu'on a l'éternité devant nous), sur les responsabilités qui vous tombent dessus et auxquelles il faut faire face (il faut qu'il soit présent, malgré son mal-être, pour sa fille qui en a besoin), sur nos capacités de résilience, qui permettent de survivre, et peut-être un jour, de revivre. Ce qui sauvera Kentarô, outre la présence de sa courageuse petite fille, c'est aussi son travail, son art, dans une forme d'art-thérapie. Et puis un jour, contre toute attente, l'amour reviendra...Mais ça, comme il dit, c'est une autre histoire !