Garder le contour des choses et de soi-même , du bois de cette commode dont la présence rassure quand on sursaute d'un cauchemar. Des pages de carnets remplies avant de s'habiller.Avant que son père ne lui demande à quoi servent ses barbouillages; avant qu'elle n'ait envie de hurler que ça lui sert à ne pas crever.
Ma sœur, mon soleil noir. L'autre côté de la pièce, le prix à payer. Sorcière pâle aux cheveux d'algues qui caresse ma joue ; un geste d'amour qui trace sur moi une trêve ou un départ en guerre.
Ma soeur est morte.
Elle s'est noyée dans l'Ouse.
Pas le Tibre, la Seine ou la Tamise,
rien de noble ou de surfait
pour charrier son corps, un simple gris
de fleuve traversé de pays plats,
d'écueils et de monts, de pâles collines.
Même pas la mer pour théâtre de son naufrage :
avant de l'atteindre,les griffes des racines et les alluvions poisseuses
l'ont retenue dans leur jeu.
Le jeu sans fin du courant,
d'une onde où il n'y a plus rien à sauver.
Ma soeur est morte.
Un midi de mars, elle s'est coulée dans la marée du printemps.
Elle s'est coulée pour voir
jusqu'où c'est profond dans le noir. (...)
La chambre respire désormais le grand calme; l'air sent les fleurs et l'eau croupie. C'est très tranquille un mort. C'est doux, c'est rien. Ca donne juste froid à voir.
Inutile de se battre quand un parent décide de ne pas vous voir, quand la distribution des rôles est déjà faite.
Tremblants, les pétales s'inclinent; les feuilles se creusent en milliers de paumes. Elles implorent, elles espèrent l'averse chaude et puissante des couleurs, ce miracle de l'aube, chaque jour invaincu, qui leur fait quitter le gris de la nuit.
Observer le monde, c'est aussi y participer ; ce n'est pas réservé qu'aux agités, aux enragés. Aux pessimistes de la raison, aux optimistes de la volonté. Il faut aussi des gens en retrait pour témoigner depuis le bas-côté. Pour essayer de nommer, de donner une forme à la réalité. (p 185)
L'orbite concentrique du couchant ferme son grand oeil aveugle. Une crevasse béante, l'annonce du soleil bientôt absent.
Dehors, l'automne est allongé comme un cadavre, couché de toutes ses feuilles.
De l'art, un acte sacré qui ne s'efface pas. La seule certitude de ne jamais disparaître.