Le roman est comme l'enfant. Un être surgi du néant, du vide.
Deux veufs, qu'engendrent-ils? Pas une histoire d'amour. Plutôt quelque chose qui pue, qui sent la mort et ses regrets.
Sur ce littoral qui l'enfante et l'éveille, tout en elle devient plus large.
Le divan, le fauteuil, la fenêtre fermée mais les rideaux ouverts, la porte dérobée, les fleurs presque au centre, rangées dans le vase posé sur le guéridon. Je réinterprète les détails, les éléments de la scène avec l'inexorabilité confuse d'un rêve. Avec la maniaquerie irrationnelle de celle qui reste. Pour empêcher l'oubli, ou bien pour réussir à l'accomplir. Pour essayer de m'y retrouver, de me raconter comment ça s'est passé. L'anéantissement de mon univers. (p 183)
Désormais, je n'ai plus d'yeux. Mon regard s'est éteint avec le sien. Ce regard froid de fleuve, vitreux ; ce rempart qui reflète mes lèvres ouvertes sur une foi ancienne. Le pardon. (p 125)
Des couleurs qui disent la renaissance, qu'il n'y a pas de survie possible sans comprendre l'origine de la beauté. Une éclipse de nos blessures singulières ; de cette souffrance, lancinante et destructrice, que nous décidons de transcender. Cette ivresse à la lecture d'un livre ou d'une peinture bute soudain sur le réel d'une signature. Encore un nom d'homme. Toujours un nom d'homme qui parle de désir à une fille modèle ou à sa muse. La brûlure. Nous sommes capables de la faire sentir. Nous sommes capables d'en faire autant. (p 76)
Maintenant, ma sœur rêve. Je regarde la petite fille en elle qui se débat. Elle ne vivra plus que dans des souvenirs et c'est peut-être pire que la mort elle-même ; cette disparition de la personne qu'enfant nous avons été. (p 58)
D'abord l'eau transperce, puis se fait douce comme un berceau. La mort doit prendre comme ça. Une image, rien qu'une image. Une illusion qu'il faut sentir pour la croire enfin réelle. Pareille à la mer qui, autour de nous, s'étend telle une forêt autour d'un château fort. (p 38)
Il ne peut y avoir qu'un seul génie dans cette famille et c'est Virginia.
On ne sait pas pourquoi ça naît, pourquoi certains y ont droit et d'autres pas. Pourquoi je suis lente dans l'existence quand ma sœur est vive de couleurs ? Pourquoi celles que j'ajoute à mes dessins ne réparent rien ? Quoi que je fasse, je suis moins. Moins intelligente, moins effrontée. Moins masculine comme père aime à répéter. Mon menton moins décidé, ma silhouette moins affûtée, mes cheveux et mes yeux moins profonds. Moi son pâle brouillon, elle ma flamboyante copie. (p 25)
Cette contrée éphémère, presque imaginaire, que l'on passera le reste de son existence à chercher. L'enfance, le pays de tous les exilés. (p 19)