Citations sur Double V (20)
Observer le monde, c'est aussi y participer ; ce n'est pas réservé qu'aux agités, aux enragés. Aux pessimistes de la raison, aux optimistes de la volonté. Il faut aussi des gens en retrait pour témoigner depuis le bas-côté. Pour essayer de nommer, de donner une forme à la réalité. (p 185)
Le divan, le fauteuil, la fenêtre fermée mais les rideaux ouverts, la porte dérobée, les fleurs presque au centre, rangées dans le vase posé sur le guéridon. Je réinterprète les détails, les éléments de la scène avec l'inexorabilité confuse d'un rêve. Avec la maniaquerie irrationnelle de celle qui reste. Pour empêcher l'oubli, ou bien pour réussir à l'accomplir. Pour essayer de m'y retrouver, de me raconter comment ça s'est passé. L'anéantissement de mon univers. (p 183)
Désormais, je n'ai plus d'yeux. Mon regard s'est éteint avec le sien. Ce regard froid de fleuve, vitreux ; ce rempart qui reflète mes lèvres ouvertes sur une foi ancienne. Le pardon. (p 125)
Des couleurs qui disent la renaissance, qu'il n'y a pas de survie possible sans comprendre l'origine de la beauté. Une éclipse de nos blessures singulières ; de cette souffrance, lancinante et destructrice, que nous décidons de transcender. Cette ivresse à la lecture d'un livre ou d'une peinture bute soudain sur le réel d'une signature. Encore un nom d'homme. Toujours un nom d'homme qui parle de désir à une fille modèle ou à sa muse. La brûlure. Nous sommes capables de la faire sentir. Nous sommes capables d'en faire autant. (p 76)
Maintenant, ma sœur rêve. Je regarde la petite fille en elle qui se débat. Elle ne vivra plus que dans des souvenirs et c'est peut-être pire que la mort elle-même ; cette disparition de la personne qu'enfant nous avons été. (p 58)
D'abord l'eau transperce, puis se fait douce comme un berceau. La mort doit prendre comme ça. Une image, rien qu'une image. Une illusion qu'il faut sentir pour la croire enfin réelle. Pareille à la mer qui, autour de nous, s'étend telle une forêt autour d'un château fort. (p 38)
Il ne peut y avoir qu'un seul génie dans cette famille et c'est Virginia.
On ne sait pas pourquoi ça naît, pourquoi certains y ont droit et d'autres pas. Pourquoi je suis lente dans l'existence quand ma sœur est vive de couleurs ? Pourquoi celles que j'ajoute à mes dessins ne réparent rien ? Quoi que je fasse, je suis moins. Moins intelligente, moins effrontée. Moins masculine comme père aime à répéter. Mon menton moins décidé, ma silhouette moins affûtée, mes cheveux et mes yeux moins profonds. Moi son pâle brouillon, elle ma flamboyante copie. (p 25)
Cette contrée éphémère, presque imaginaire, que l'on passera le reste de son existence à chercher. L'enfance, le pays de tous les exilés. (p 19)
Sur ce littoral qui l'enfante et l'éveille, tout en elle devient plus large.
Ma soeur est morte.
Elle s'est noyée dans l'Ouse.
Pas le Tibre, la Seine ou la Tamise,
rien de noble ou de surfait
pour charrier son corps, un simple gris
de fleuve traversé de pays plats,
d'écueils et de monts, de pâles collines.
Même pas la mer pour théâtre de son naufrage :
avant de l'atteindre,les griffes des racines et les alluvions poisseuses
l'ont retenue dans leur jeu.
Le jeu sans fin du courant,
d'une onde où il n'y a plus rien à sauver.
Ma soeur est morte.
Un midi de mars, elle s'est coulée dans la marée du printemps.
Elle s'est coulée pour voir
jusqu'où c'est profond dans le noir. (...)